Moby Dick, est paru en 1851,
Ismaël, le narrateur, se trouvant ans ressources
et sans attaches, pour « secouer sa mélancolie et rajeunir son
sang » décide de partir à la chasse à la
baleine. Il quitte Manhattan, pris par ce qu'il appelle la folie
d'aller voir la mer, mais pas au point de s'embarquer comme cuisinier
sur un navire marchand, préférant le statut de simple matelot,
prêt à obéir aux ordres et balayer le pont. Sa décision
d'embarquer sur un navire baleinier. relève des circonstances, des
secrets du destin écrit-il, « en me berçant de l'illusion
que ce choix émanait de ma propre volonté et de mon libre
arbitre ». Il attend donc un embarquement à New Bedford
pour Nantucket le port baleinier de la côte ouest des Etats Unis
Une singulière histoire d'hommes.
L'attente de l'embarquement et plus particulièrement les nuits à l'auberge du Souffleur à Bedford sont un roman dans le roman et, selon moi, le meilleur du roman. Une belle écriture souple chatoyante, mais au seul service de l'histoire et surtout, pas de pénibles digressions.
Notre narrateur, Ismaël, auquel l'aubergiste offre une chambre partagée avec un harponneur déclare péremptoire « Aucun homme n'aime coucher à deux ; en fait votre propre frère lui même n'est pas le bienvenu dans votre lit….car les marins célibataires ne dorment pas davantage à deux en mer que les rois célibataires de la terre ferme. » quelques pages plus loin que se passe t-il ? «En m'éveillant au point du jour, le lendemain matin, je constatais que le bras de QueeQueg m'entourait de la manière la plus tendre et la plus affectueuse. On aurait presque pu croire que j'étais sa femme . » pour couronner le tout cette situation le renvoie à un traumatisme enfantin. Les termes « nuptiale étreinte » et « matrimonial » reviennent plusieurs fois. Au matin l'habillage et la toilette se déroulent avec des pudeurs de pucelle. Il convient de préciser que Queequeg est un géant mélanésien, tatoué des pieds à la tête, cherchant à vendre une tête réduite, réputé cannibale et pratiquant des rites païens.
Et ensuite « Il se décida à me demander si nous allions partager la même chambre cette nuit encore. Je lui dit que oui, ce qui parut me sembla-t-il lui être agréable, voire même peut-être l'honorer. » ... »nous devînmes compères. » « nous montâmes tous deux dans notre chambre. »« de temps à autre Queequeg jetait affectueusement ses brunes jambes tatouées par dessus les miennes puis les retirait, tant nous nous sentions libres, fraternels et sans contrainte. « transparent non ? Je cite abondamment car je ne sais trop que penser : Melville expose t-il naïvement une homosexualité non assumée, dans un texte aujourd'hui transparent, mais qui a son époque, pré freudienne, risquait moins d'être décodé ou joue t-il consciemment sur l'ambiguïté et la subtilité de la relation entre ses personnages pour défier ses lecteurs. Ambiguïté ou subtilité ? génie ou naiveté ? les questions que se pose le lecteur sont intemporelles. Considérons donc que jusqu'ici le roman l'est aussi.
Désormais inséparables nos deux personnages s'arrangent pour être embarqués sur le même navire le péquod.
Une histoire sans femme ou presque.
Effectivement la chasse à la baleine n'est pas une activité très féminine, aussi les personnages féminins ont des rôles bien accessoires dans ctte sombre histoire de vengeance obséssionnelle.
Les deux seules femmes apparaissent à ce moment
charnière de l'aventure qui précède le départ du Péquod. Mme
Hussey, aubergiste, brille par ses soupes de poissons ou de
crustacés. La seconde est tante Charité, un physique de Quaker, pas
de quoi nourrir une romance. Elle supervise la cargaison du navire,
tâche particulièrement complexe, compte tenu de la durée des
campagnes de pêche à la baleine : plusieurs années. On
ne peut que remarquer que les seuls gestes de tendresse sont
échangés par deux hommes.
Le Péquod prend la mer, l'écriture des
chemins de traverse.
Enfin le navire appareille. Il faudra tourner encore de nombreuses pages avant l’apparition sur le pont du mythique Capitaine Achab que subtilement Melville nous avait fait languir. Ismaël comprend vite que le bateau ne chasse pas uniquement des baleines ordinaires pour remplir ses cales d'huile de baleine. Achab n'a qu'un but ou plutôt une obsession, retrouver et affronter Moby Dick, un cachalot blanc, d'une taille et d'une férocité hors du commun, qui lui a, lors d'une précédente campagne de chasse, arraché une jambe. Achab à la jambe en os de baleine entraîne son équipage dans une quête vengeresse. Le méchant capitaine Aigri contre le méchant cachalot . Au moins le lecteur n'est pas tenté de prendre parti. Il serait même enclin à pencher en faveur de la baleine quand, dans un chapitre mémorable, Achab refuse de venir en aide à un capitaine pour retrouver son fils égaré sur une baleinière. Achab n'hésite pas à baffouer le code d'honneur des marins.
Trop de digressions savantes et des
effets de langue qui vieillissent mal.
Curieusement le roman s'arrête au moment ou commence la poursuite. Il ralentit, sans doute parce que pour trouver une baleine il faut longuement, interminablement courir les océans et mis à part quelques épisodes de chasses conventionnelles et les affres d'une tempête et quelques bateaux croisés il ne se passe rien, alors Melville meuble. Si de digression en digression la quête de Moby Dick s'éternise, la bataille finale est réglée en trois courts chapitres, mais le style d'écriture est devenu si alambiqué, sa musique si pompeuse, que l'action loin d'en être magnifiée est simplement clinquante. A trop vouloir faire de cette ultime combat et de cette défaite finale un récit mythique l'auteur sombre dans la grandiloquence. Et ça, ce n'est pas moderne !
Moby Dick est un roman d'aventure mais Melville ne s'en contente pas, il veut faire mieux, il veut écrire un chef d’œuvre. Du coup il recours à des recettes d'écriture et de narration. Le livre navigue sur trois registres littéraires. Le récit proprement dit, l'introspection quasi philosophique du narrateur et de longues digressions " scientifiques "sur la chasse à la baleine et son histoire, les différentes variétés de cétacés, leur anatomie, les techniques de chasse, ect. Le simple matelot, narrateur nostalgique apparaît de manière tout à fait artificielle comme un érudit très au fait de tout ce qui concerne, les cétacés et leur chasse. Ces longs intermèdes interrompent le fil de l'histoire qui n'avance, au cœur du livre, que de manière épisodique. Il recours également à plusieurs types de langage : stylisé, symbolique et métaphorique qui forcément apparaissent, aujourd'hui,vieillot.
Désolé si je semble faire du « lèse chef d’œuvre » mais autant j'ai aimé le récit, sans digression ou presque qui précède l'embarquement autant je me suis ennuyé lorsque Melville a meublé l'interminable poursuite de la baleine par un luxe ennuyeux et sans doute obsolète de détails sur la vie, l'anatomie et les chasses à la baleine.
Le Pequod, brisé par Moby Dick, finira par sombrer en laissant Ismaël seul survivant, flottant sur le cercueil que Queequeg s'était fait préparer un jour ou il avait cru mourir.
Pour conclure.
Une adaptation pour enfant de Moby Dick
, réduit le nombre de chapitres de 135 à 31. Je suis
convaincu de la pertinence de cette réduction. Plus de 100 chapitres
ne font pas avancer l'histoire. Melville n'a pas la modestie de Jules
Vernes, il en rajoute dans l'érudition et l'érudition est toujours
datée. Finalement la version enfantine m'aurait sans doute
parfaitement satisfait. De plus autant je suis convaincu qu'une belle
histoire ne vieillit pas, autant les connaissances sur la morphologie
et la vie des cétacés ont évoluées et que tout ce que relate
Melville doit être scientifiquement dépassé. A vouloir être
trop savant Melville a condamné son livre à mal vieillir. De
plus une écriture trop savante, truffée de références littéraires
ou mythologiques n'est plus accessible au lecteur contemporain moyen.
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