lundi 1 décembre 2014

Au Maroc, Pierre Loti

Louis Marie Julien Viaud dit Pierre Loti, né le 14 janvier 1850 à Rochefort, mort le 10 juin 1923 à Hendaye,





Henri de Montherlant a écrit que "Au Maroc" est le meilleur livre qu'il ait jamais lu sur le Maroc. Peut-on lui faire confiance ?

Au Maroc » Publié en 1890 est le journal du voyage d'une ambassade conduite par le Ministre plénipotentiaire Patenôtre de Tanger à Fez puis Meknès, entre le 26 mars et le 4 mai 1889, pour présenter ses lettres créance au Sultan de Fez. Cette période correspond à une interruption de la carrière de marin de Pierre Loti. Il reste cependant un militaire et c'est à titre officiel qu'il accompagne le Ministre. Son rôle demeure flou, en tout cas son journal, fort détaillé ne fait état d'aucune mission, hormis représentative.

Cette ambassade qui fut effectuée avec toute la pompe diplomatique, les commodités et les services dus à des personnages importants ne peut à proprement parler pas être considérée comme un véritable voyage, tout au moins au sens d'une Alexandra David Neil ou d'autres voyageurs explorateurs. Bien sur le voyage effectué à cheval ou à dos de mule est proche de la nature, mais bien loin des vrais gens et de la vraie vie.

Un tel contexte n'est évidement pas propice à une approche du Maroc profond. Mais Pierre Loti, le diplomate, auréolé de son prestige diplomatique, est-il intéressé par le Maroc du peuple ?

A quoi peut-on juger qu'une œuvre résiste à l'épreuve du temps ? C'est, bien entendu, d'abord, une question de qualité littéraire , mais c'est surtout une question de valeurs et de préjugés. Les écrivains dont le nom a résisté à l'oubli ont généralement une grande et belle écriture. C'est le cas de Pierre Loti « Au Maroc » est superbement écrit, une écriture qui magnifie la beauté des paysages sauvages et incroyablement fleuris du Maroc au printemps. Je connais et j'adore le Maroc à cette saison ou la nature se tapisse de fleurs milticolores et ou les cigognes se regoupent avant de regagner l'Europe, Pierre Loti lui rend presque justice, je dis « presque » car il bascule sans transition d'une vision de jardin d'éden à la vision d'un Pays désolé couvert de friches et de ruines, sans routes ni ponts. L'auteur oscille entre attraction et répulsion. Les changements de registre de vocabulaire traduisent son ambiguité. Il voudrait faire penser qu'il aime mais le naturel de sa gène revient au galop. La pluie omniprésente renforce l' atmosphère dominante  d'abandon et de sauvagerie.

Un écrivain du 19ème siècle sait glorifier la nature, c'est même sa marque de fabrique, mais celui qui résiste au temps n'est autre que celui qui sait dépasser les préjugés de son époque pour en voir et en dénoncer les travers, parce qu'il a l'intuition de valeurs humaines universelles et intemporelles, autour desquelles peuvent se retrouver tous les lecteurs à travers les époques. Vous avez compris que c'est loin d'être le cas pour Pierre Loti
.
Plutôt que de me lancer dans de laborieuses analyses ou périphrases, je vais laisser Pierre Loti faire seul la preuve de sa suffisance, de son peu d'ouverture d'esprit, de ses préjugés, de son conformisme, de son mépris, de son racisme, de son antisémitisme de son ambiguïté à l'égard des femmes et de son manque de clairvoyance politique et historique. Je ne voudrais pas que le costume que je taille à notre prestigieux académicien puisse être taxé de subjectivité due à un parti pris ou un préjugé défavorable de ma part, aussi je vais faire la part belle aux citations.

Suffisance

« Nous voyageons avec tout le confort des nomades n'ayant à nous occuper de rien » Pierre Loti voyage avec une imposante caravane escortée par des cavaliers armés et comptant une multitude de serviteurs qui installent le luxueux campements avant l'arrivée de la caravane, aménagent les sites ou sont pris les repas. « une grande tente salle à manger est montée chaque midi ». Les chefs des tribus traversées accueillent les hôtes du Sultan avec des fantasias, offrent la mouna, offrande sous forme de repas pantagruéliques et raffinés et de bêtes égorgées par dizaines . «  chaque soir les tributs amènent aux représentants du sultan, la dîme, la rançon que notre qualité d'ambassade nous donne le droit de prélever » « amphores pleines de lait de brebis, de beurre, paniers d’œufs, cages rondes en roseaux remplies de poulets attachés par les pattes, quatre mules chargées de pains de citrons, d'oranges et enfin douze moutons tenus par les cornes » Les solliciteurs accompagnent leurs requêtes au Sultan de sacrifices de bœufs.

Loti se réjouit de sa situation privilégiée et méprise le peuple et les petites gens«  Pour garder nos innombrables bagages, nos gens ont couché dans la rue, effondrés dans leurs burnous » « une centaine de mules entêtées et de chameaux stupides » Il oppose les couleurs ternes du peuple à celles chatoyantes de l'escorte. « la masse des paysans ou des pauvres en burnous gris, en sayons de laine brune…c'est un immense fouillis d'une même nuance terne et neutre » «  le coloris oriental des cavaliers de notre suite, les cafetans roses, les cafetans oranges, les cafetans jaunes, les selles de drap rouge et les selles de velours »

Il ironise sur un de ses collègues écrivain« Huysman » qui subit la promiscuité de voyages en sleeping » et n'hésite pas à conclure sa journée par de petits fantasmes orientalistes sur les femmes« Je me rendors en rêvant de cette cour de Fez, ou habitent derrière des murs et sous des voiles, tant de mystérieuses belles… » et pour faire bonne mesure…un fantasme sur les hommes « Les beaux bras nus des cavaliers, fauves comme du bronze sortent des manches larges relevées jusqu'aux épaules »

Malgré deux mariages et une période de sa vie ou il entretenait deux ménages simultanément (quel homme!) l'homosexualité de Pierre Loti ne semble plus faire de doute.

Loti est ébloui par tant de privilèges. Grand bien lui fasse. Il serait pardonnable au simple motif qu'il est éclaboussé par la gloire des puissants, s'il ne méprisait pas les pauvres, les serviteurs, le peuple, le pays même « un pays inculte à peu près laissé à l'état primitif »

Mépris pour les hommes

Pauvres ou riches, faibles ou puissants, tous les marocains sont à la même enseigne.

La bastonnade ou la torture infligés aux serviteurs ou au voleurs n'indignent en rien notre militaire écrivain. Comment relate t-il la traversée d'un marché ?«  Nous n'avançons plus que difficilement et nos arabes d'escorte, à coup de lanières, à coup de bâtons et de crosses de fusils, écartent à grand peine cette plèbe, qui s'ouvre sur notre passage en hurlant. » Après une difficile journée de pluie pendant laquelle les bêtes de somme sont fréquemment tombées dans la boue il relate que « séance tenante on donne la bastonnade aux muletiers pour avoir mal conduits leurs bêtes. » Il justifie le supplice du sel que l'on inflige aux voleurs, qui consiste à leur taillader la pomme des mains, de la remplir de sel, de l'attacher solidement refermée et de laisser le supplicié lentement mourir de douleur. «  Le Maroc est encore au moyen age et à cette époque nous avions des supplices qui n'avaient rien à envier à celui-ci et on ne peut en vouloir à un peuple qui a introduit dans son code quelque chose qui donne un peu à réfléchir aux pirates des montagnes »

Les chefs de tributs sont « des détrousseurs, la délégation est sous leur protection d'accord, mais ce sont quand même des bandits. »

Le Sultan de Fez lui même n'échappe pas au mépris «  Il apparut comme une haute momie blanche à figure brune, toute voilée de mousseline…étrange cavalier presque informe...il approche et voici enfin près de nous, ce fils authentique de Mahomet bâtardé de sang nubien. »


Les jeunes nobles, les futurs vizirs sont « étiolés, pâles, mornes et affaissés sur leurs coussins » le fils du vizir est « le plus affaissé, l'air absolument abêti, excédé d'ennui et de lassitude »

Mépris pour les lieux

La ville de Fez est décrite de manière fort peu flatteuse «  murs décrépis, en ruine, ruelles étroites, jonchées de détritus dans la boue, maisons imbriquées, délabrées, sombres et sales, sans confort » Pierre Loti va jusqu'à s'excuser de l'emploi excessif du mot vieux quand il parle de Fez.

« Au delà, l'obscurité des campagnes sauvages qui sont plus inhospitalières encore que les villes, qui sont sans routes pour fuir et ou habitent des tributs qui coupent les têtes. »
Condescendance

Dès le début ce sa mission il voit Tanger comme une porte dans l'espace et dans le temps « J'ai le sentiment d'un recul subit à travers les temps antérieurs » , le Maroc est un grand pays primitif.

« A quoi bon une ambassade avec un tel souverain, qui reste comme son peuple immobilisé dans les vieux rêves humains presque disparus de la terre. Nous sommes absolument incapables de nous entendre »

« Avec ce peuple rien n'aboutit… Les vizirs temporisent, ce qui est la grande force de la diplomatie musulmane »


Racisme

A l'entrée de la ville de Fez l'accueil est assurée par une haie de fantassins noirs. « l'infanterie est recrutée on ne sait comment, nègres pour la plupart et ridicules sous ce costume de zouave, regardés de près, ils donnent l'impression d'une armée de singes… tout cela est en plein moyen age. » redit un peu plus loin « des soldats nègres, habillés de rouge, de toute la pitoyable armée de singe »


Antisémitisme


Pierre Loti qui s'est affranchi de la délégation pour vivre seul dans la maison « sombre et délabrée » d'un amis va dans la « sordide ville des juifs » pour acheter des objets anciens et des bijoux. Il raconte :

« A l'entrée de la ville le dépôt général des bêtes mortes… qui pourrissent au soleil rependant une odeur sans nom » « l'accueil est assuré par deux ou trois personnages… qui me dévisagent avec des yeux roués et cupides, flairant déjà quelques affaires à conclure, des figures chafouines longues, étroites, blanchâtres, des nez minces qui n'en finissent plus et des cheveux longs et rares, en tire bouchon, épars, crassissants des robes noires qui collent aux épaules pointues. » Sans commentaires, il apparaît difficile de mettre plus de poncifs dans une seule phrase.

Complétons «  J'ai le regret d'aller m'enfouir dans ces bouges de moisissures, chez des êtres si laids, une veille de départ. »

Femmes fantasmées


Marchandises :Lors d'une visite au marché aux esclaves il examine une jeune fille en vente « Nous la fîmes lever, pour la voir, comme c'est l'usage pour toute marchandise. C'était une petite fille de seize à dix huit ans, dont les yeux pleins de larmes exprimaient un désespoir résigné mais sans borne. Oh la pitié qu'elle nous fit !» Quel cynisme dans ce raccourci indécent. La pitié est sans doute réelle mais pas au point de renier l'esclavage.


Superbes mais inaccessibles :Les terrasses sur les toits des maisons sont le domaine des femmes. Pierre Loti se plaît à les observer en cachette avec une curiosité pleine de sous-entendus coquins. Il est fasciné par ces femmes achetées « L'une d'elle appartient  à un de mes voisins » une nouvelle « recrue » « quel est le riche voisin qui a acheté cette jeunesse ardente et ses reins superbes. » Le fait que ces femmes superbes ne soit que possession pour certains et lui soient interdites accroît son trouble.



Le Maroc était durant le 19ème siècle au cœur de représentations orientalistes. De nombreux peintres dont les plus connus sont Delacroix puis Matisse sont dans cette veine. Le récit de voyage (mission) de Pierre Loti oscille entre fantasmes et poncifs. Dans sa préface il confesse « une sorte d'atavisme relatif à tout ce qui touche au monde arabe » et déclare « je me suis toujours senti l'âme à moitié arabe » étonnantes déclarations venant d'un écrivain qui a écri toutes les horreurs que vous venez de lire.
Pierre Loti fait parti de ces écrivains parfaitement à l'aise dans leur siècle dont ils épousent les manières de penser. Sa bonne conscience est sans faille. A ce titre il n’appartient à personne de porter un jugement de valeur sur l'homme. Pourtant à l'évidence le Pierre Loti de « Au Maroc » n'est plus lisible aujourd'hui. Seule son époque étroite et bornée a pu le couvrir de gloire. Il a manqué à Pierre loti la modestie, le recul, l'humanité et le génie nécessaire pour s'élever au dessus de son époque et prétendre à l'immortalité, pas seulement celle, illusoire de l'académie Française.



























mercredi 22 octobre 2014

Walden ou la vie dans les bois, Henri David Thoreau






Henry David Thoreau, est est né le 12 juillet 1817 à Concord (Massachusetts), où il est mort le 6 mai 1862.
Walden ou la vie dans les bois,  a été publiée en 1854









Walden est une œuvre multiforme. Le séjour de deux ans effectué par Thoreau entre juillet 1845 et septembre 1847 dans une cabane, bâtie de ses mains, au bord du lac de Walden près de Concord, sa ville natale, dans le Massachusetts lui inspire cet ouvrage. Walden ou la vie dans bois se veut récit, à la fois imagé, savant et poétique, mais aussi réflexion sur le sens de la vie. Thoreau fait preuve d'une incontesable culture naturaliste, déjà inspirée par Darwin, qu'il a lu, mais il n'hésite pas à s'aventurer dans l'analyse économiquela Philosophie et même quelques considérations politiques, bien qu'il les réserve à un autre de ses ouvrages célèbres « la désobéissance civile » (1847) qui trouve également sa source à Walden, puisque pendant son séjour il fut brièvement emprisonné pour n'avoir pas payé ses impôts.

La conception du sens de la vie que développe Henri David Thoreau dans Walden en fera le précurseur de plusieurs courants de pensées. Il sera considéré comme une référence et même une sorte de prophète par de nombreux écrivains parmi lesquels : Tolstoï, Hemingway, Henry Miller, Rick Bass, Jim Harrison, mais aussi des personnalités de la vie civile ayant pour certains une place dans l'histoire, tels Gandhi, Lanza del Vasto lors des événements du Larzac dans les années 1970, et plus près de nous José Bové qui a effectué le pèlerinage à Walden et s'est fait photographier devant une reconstitution de la cabane. Au delà de ces reconnaissances individuelles, l'héritage de Thoreau s'est manifesté dans l'histoire récente par des mouvements sociaux. On peut citer les communautés Hippies des années 1970 à 1980, les retours à la terre qui ont suivi en France les événements de mai 1968. Aujourd'hui encore, les théories et les mouvements de la décroissance et le concept de sobriété heureuse, autour de Pierre Rabhi sont largement inspirés par Henri David Thoreau.

La Question peut-on encore lire Thoreau est peut être plus une question politique que littéraire.

Un prophète ne peut être déboulonné. La question est cependant prophète pour qui ? On ne peut pas dire que Thoreau à infléchi le moins du monde la destinée de son pays les Etats Unis, ni de celle du monde, y compris avec ses avatars communistes, qui ont tous définitivement choisi la voie du développement et de la consommation à outrance et qui ne sont pas prêts à changer de modèle. Thoreau a toujours inspiré une minorité convaincue que le système capitaliste et toutes autres société basées sur la consommation mènent l'humanité à sa perte et qu'il est temps, toujours temps, encore temps de se reprendre en main et de changer radicalement de mode de vie. Je ne peux pas ignorer que la grande majorité de nos concitoyen est prête à applaudir Stevenson qui considérait Thoreau comme « un snob, efféminé, misanthrope et excentrique » .

Sur le plan littéraire la question se pose aussi, mais là encore je serai nuancé. Quitte à choquer certains professeurs de littérature, je dirais que pour trouver des pépites d'écriture, il faut remuer beaucoup de pages indigestes. L'écriture de Walden me fait penser à un ressort. Le point A et le point B sont proches, mais il faut pour les relier parcourir des kilomètres de spirales. L'art de faire long quand il serait possible d'être plus succinct. Cette manière d'écrire est aujourd'hui totalement obsolète. Cette remarque sur l'écriture s'applique particulièrement aux chapitres « prophétiques », les passages donneurs de leçons… Par contre le Thoreau naturalistes est aussi poète. Des pages magnifiques sont consacrées aux paysages, à la flore, à la faune, aux saisons, au temps qu'il fait, au temps qui passe, à la pêche.

Naturaliste et Poète 

Avant même d'aborder le récit de son séjour, dans le chapitre intitulé « bruits » Thoreau pose toute une série d'observations naturalistes très précises sur les plantes les oiseaux et tout ce qui peuple son territoire. Dans ma cour de devant poussaient la fraise, la mure et l'immortelle, l'herbe e la Saint jean et la verge d'or, les chênes arbrisseaux et le cerisier nain, l'airelle et la noix de terre, vers la fin de mai le cerisier nain adornait les côtes du sentier de ses fleurs délicates disposées en ombrelles cylindriquement autour de ses courtes tiges….Un vison se glisse hors du marais et saisit une grenouille près de la rive...« Les étangs » est un long chapitre qui nous fait découvrir les paysages sauvages, les lacs et les poissons de Walden. « Premiers habitants et visiteurs d'hiver » est un chapitre à la mémoire de ceux qui ont peuplé walden au cours des siècles : ruines de cabanes, traces d'un puits, pointes de flèche, terre calcinée et quelques légendes restées dans les mémoires. « Animaux d'hivers » nous amène à la rencontre d'un vol d'oies, d'un grand duc, des renards, d'écureuils rouges, des lapins, d'un pichpin, des vols de mésanges et de pinsons, tout un défilé à la fois précis et poétique dont Thoreau observe les habitudes. Le naturaliste n'est jamais loin derrière le poète. « Les étangs en hiver » nous donne à voir des scènes de pêche hivernales. On y découvre également un Thoreau géographe qui établit une carte de son étang. « Le printemps » Dernier chapitre du livre le printemps était le but ultime du séjour à Walden. Un des attraits de ma venue dans les bois pour y vivre était d'y trouver occasion et loisir de voir le printemps arriver. Eveil de la faune et de la flore, fonte de la glace et de la neige.

Économiste

Il est assez perceptible que Walden fut écrit par petits bout et que les morceaux ont été mis dans l'ordre à posteriori. Ainsi c'est le Thoreau économiste qui ouvre l'ouvrage par un long chapitre dans lequel il n'hésite pas à introduire des chiffres et une comptabilité. Ce chapitre serait une reprise d'une des conférences que donnait Thoreau à Concord. La thèse générale est que l'homme a des besoins limités. Est libre celui qui se contente de peux est aliéné celui qui veut se procurer du superflu.

Les nécessités de la vie pour l'homme, peuvent assez exactement se répartir exactement sous les différentes rubriques de vivre, couvert, vêtement et combustible.

Le luxe en général et beaucoup du soit-disant bien être, non seulement ne sont pas indispensables mais sont un obstacle positif à l'ascension de l'espèce humaine.

-L'agriculteur est esclave à vie de sa terre, de ses bâtiments, de sa maison, de son bétail. Les paysans de Concord ont peiné vingt, trente ou quarante année de leur vie pour devenir propriétaires de leur ferme

-Le commerçant est toujours sur le qui vive, vigilant...les yeux partout, devant tout controler.

-Le vêtement, la modes est futile: peut-être sommes nous guidés plus souvent par l'amour de la nouveauté et certain soucis de l'opinion des hommes que par une véritable utilité.

-La maison : Dans les villes les pauvres paient pour se loger un tribu annuel qui suffirait à l'achat d'un village de wigwams indiens et qui contribue au maintien de sa pauvreté sa vie durant….Il se peut que ce soit la maison qui le possède...Bien souvent nous y sommes en prison, plutôt qu'en un logis.

Voici les hommes devenus les outils de leurs outils. C'est donc bien d'aliénation que nous parlons.

Henri David Thoreau nous présente donc son installation à Walden comme répondant à des nécessités économiques combinées à une aspiration à revenir aux vraies valeurs en bannissant le superflu, le futile et le contraignant.

C'est, chiffres à l'appui et à la manière d'un comptable que Thoreau nous présente la prise de possession de son terrain, la construction de sa cabane avec des arbres prélevés sur le terrain et des matériaux récupérés et la mise en culture d'un potager.

En plein milieu du dix neuvième siècle, à contre courant d'une Amérique entreprenante et conquérante alors que les ressources de la planètes étaient à peine entamées et qu'aucun problème environnementaux ne se posaient, Thoreau a eu l'intuition d'expérimenter la sobriété dans tous les domaines de la vie. Ces motivations alors étaient simplement humaines dépourvues de toutes considérations environnementales et c'est sans doute ce qui les a rendu universelles. Il n'est pas facile de prêcher la pauvreté dans un monde riche. Je crains que même au bord du gouffre, l'homme moderne, hormis quelques éclaireurs ait aussi du mal à s'y résoudre.

Végétarien

La question du végétarisme est abordée à deux reprises dans le livre. Un chapitre intitulé « Considérations plus hautes » lui est consacré. En effet l'évolution vers le régime végétarien est pour Thoreau indissociable d'un progrès de l'homme et de la civilisation. Pour lui le végétarien (il n'emploie pas le terme) est en quelque sorte l'homme humanisé, celui qui a su se défaire de ses instincts sauvages de pêcheur, chasseur, viandart. Le gros mangeur est l'homme à l'état de larve.

Pour le coup Thoreau s'autoproclame prophète. Je ne doute pas que la race humaine, en son grand développement, n'ait entre autres destinées, celle de renoncer à manger des animaux, aussi sûrement que les tribus sauvages ont renoncé à s'entre manger dès qu'elles sont entrées en contact avec de plus civilisées.

Avec de tels propos il n'est pas étonnant que Thoreau soit devenu la figure emblématiques des végétariens. La plupart n'iront cependant pas jusqu'à renoncer au vin, au café et au thé comme le préconise leur illustre mentor. La pratique de la sobriété est un idéal de pureté qui éloigne l'homme de sa nature animale. Ici encore l'humanisme est au centre de la quête. Le végétarisme n'est cependant que le point de départ d'une recherche de la chasteté et de la chasse au plaisir dans les domaines du manger, boire, dormir, coïter. En intitulant ce chapitre « Considérations plus haute » alors que d'autres s'intitulent  plus prosaïquement « la ferme Baker »,« pendaison de crémaillère », « animaux d'hiver » Thoreau signifie que l'on va y trouver la quintessence de sa pensée. Pour ma part je le trouve inquiétant, les considérations sont trop haute, la quête de l'ascétisme ne peut concerner que quelques individus; en aucun cas toute une société. Nous sommes ici bien près de considérations bouddhistes...la joie en moins.

Solitaire

A un chapitre intitulé « solitude » succède « visiteurs » puis « le village », c'est dire si la position de Thoreau peut paraître ambiguë, voire contradictoire. Il fait un double constat, à Walden il est seul et il aime être seul. Il constate qu'il vit loin de la société, que peu d'hommes approchent sa cabane, mais que la solitude ne lui pèse pas. Je ne me suis jamais senti solitaire ou tout au moins oppressé par un sentiment de solitude sauf une fois…, lorsque, l'espace d'une heure, je me demandais si le proche voisinage de l'homme n'était pas essentiel à une vie sereine et saine. Il explore de manière approfondie son penchant pour la solitude, se demande s'il n'est pas contre nature et cite même Confucius. Il faut de toute nécessité des voisins. Thoreau Misanthrope oui mais pas militant, un simple constat sur son penchant à la solitude dont il ne tire aucune fierté.
Il insiste même sur le fait qu'il n'est pas un ermite. Il serait capable de sortir après le plus résolu client de bar. Il affirme même avoir eu jusqu'à vingt cinq ou trente âmes, avec leur corps, en même temps sous son toit. Et constate j'eu plus de visiteurs pendant que j'habitais dans les bois qu'en nulle autre période de mon existence. 

Un chapitre complet est consacré à ses visites au village, qui nous donne à voir un Henri David Thoreau sociable mais pas au point de se sentir partie prenante de la société. Tout au plus il l'observe comme il le fait pour la nature et les mœurs des animaux. Au lieu du vert parmi les pins, j'entends le roulement des charrettes.

C'est dans ce chapitre qu'est abordé de manière très brève une anecdote qui sera à l'origine d'un autre ouvrage « La désobéissance civile »  qui sera à la source d'un autre aspect du mythe Thoreau. Un après midi… je fus appréhendé et mis en prison, parce que je n'avais pas payé d’impôts ou reconnu l'autorité de l’État. Une seule nuit qui donnera une importance politique à Thoreau.

Méditatif

Dès le deuxième chapitre l'expression bascule de la rigueur économique au ressenti. Le choix de Walden est affaire de ressenti et de cœur plutôt que d'économie. L'écriture se fait poétique. Thoreau, comme ses contemporains utilise largement les références aux mythologies grecques et nordiques. Il n'est cependant pas complètement ignorant des pensées orientales et cite un calligramme chinois. Renouvelle toi complètement chaque jour, et encore, et encore, et encore, à jamais.

Du temps de Thoreau, les pratiques et la pensée Bouddhiques n'avaient pas connu la diffusion qu'elles connaissent aujourd'hui. On peut donc considérer, qu'il a en quelque sorte ré-inventé la pratique méditative. Les mots employés dans Walden sont très proches des terminologies modernes dans les ouvrages qui traitent de méditation.

Le matin qui est le plus notable moment du jour est l'heure du réveil...et pendant une heure au moins, se tient éveillée quelque partie de nous même...tout homme a pour tâche de rendre sa vie, jusqu'en ses détails, digne de la contemplation de son heure la plus élevée et la plus sévère.

Il y eu des heures ou je ne me sentis pas en droit de sacrifier la fleur du moment présent à nul travail, soit de tête, soit de main.

Quelquefois par un matin d'été...je restais assis sur mon seuil ensoleillé du lever du soleil à midi, au sein d'une solitude et d'une paix que rien ne troublait….ce n'était point un temps soustrait à ma vie, mais tellement en sus de ma vie. Je me rendais compte de ce que les orientaux entendent par contemplation et le délaissement des travaux.

L'engouement actuel pour les pratiques méditatives et le développement personnel suscite l'éclosion d'une abondante littérature spécialisée. John Kabat Zinn, Professeur de médecine et créateur de la clinique de réduction du stress et du centre pour la pleine conscience en médecine de l'Université médicale de Massachusetts multiplie les références à Thoreau et à Walden dans ses différents ouvrages sur la méditation. Henri David Thoreau apparaît dans ce domaine aussi comme un précurseur.

Amateur des chemins de fer

Je ne pouvais pas achever cette note sans évoquer le chemin de fer qui touche l'étang à environ cent verges de là ou j'habite.

La Construction du chemin de fer qui est traitée dans le chapitre économique fait l'objet d'une critique virulente : inutile, mangeur de vies humaines, source d'inégalité d'esclavage et de misère.

Pourtant,en tant que voisin de la cabane le chemin de fer est l'objet de toutes les bienveillances. Il fait partie du paysage, il prend une place harmonieuse dans la vie quotidienne, le sifflet de la locomotive fait effet d'horloge publique, il est annonciateur de bonnes nouvelles, même les odeurs qui se dégagent des wagons procurent du plaisir. Il détaille les odeurs de bois, de laine, de poisson séché, de balles de chiffon. En plus, le train il le trouve beau, avec son nuage de vapeur, bannière flottant à l'arrière en festons d'or et d'argent, tels maints nuages duveteux que j'ai vu haut et dans les cieux déployer ses masses à la lumière.

Certains ont rattaché Henri David Thoreau au courant transcendantaliste. Le long éloge du chemin de fer montre plutôt qu'il ne considère pas seulement l'environnement naturel, mais l'environnement dans son ensemble. Le train, bruyant, polluant, porteur d'odeurs qui sont celles de la vie et du commerce est intégré et accepté dans le quotidien de Walden. Thoreau a recherché un relatif isolement dans la nature, mais il accepte le voisinage d'une voie ferrée. En quelque sorte il l'intègre dans sa méditation, dans sa jouissance du moment présent, et, là encore il se rapproche des Bouddhistes.

On aurait tort de ne considérer que le côté nature de l'expérience Walden. Il se réjouit autant de la sérénade du grand duc que du sifflement d'une locomotive et du grondement des wagons et déplore de ne point entendre le bruit du cocorico.

Philosophe

Walden est une expérience humaine qui s'appuie sur la réalité brute, celle de la satisfaction des besoins élémentaires à travers une série de choix de vie. Ou et comment habiter ? Avec quoi et comment se vêtir ? Pourquoi et comment produire ses aliments ? Jardin, Pêche, achats. Que manger ? En quelle quantité ? Comment trouver un équilibre entre solitude et vie en société ?

C'est parce que ces questions sont universelles que les réponses apportées sont en rupture avec les conceptions de la vie en vigueur à son époque que Thoreau sera considéré comme un visionnaire et un précurseur. En faisant le choix de la sobriété il ne veut pas répondre à un quelconque manque de ressources, ni protéger la planète du saccage. Ces thématiques, qui nous sont malheureusement devenues familières, n'avaient aucune raison d'avoir cours à son époque. Seule l'humanité est en jeu. La sobriété est le moyen de sortir l'homme des séquelles de barbaries qui caractérisaient l'état sauvage initial. C'est les progrès de l'homme que recherche Thoreau vers plus de civilisation, plus de sagesse, moins de travail et de soumission, plus de temps pour profiter de la nature et de l'instant présent, plus de présence au monde. La sobriété c'est le remède à l'avidité et à la futilité. Walden nous propose un détour par la réalité pour trouver l'homme idéal, celui qui se détache des besoins superflus du corps pour atteindre la sagesse.

Lire Thoreau aujourd'hui à la lumière des problèmes écologiques, de l'épuisement des ressources, de la montée des barbaries est selon moi une erreur. C'est à l'essence de l'homme que Thoreau s'adresse. Il veut un homme meilleur plus sage et plus civilisé dans l'absolu. Il ne cherche pas à résoudre les problèmes de la planète. C'est donc à chacun de nous, en quête de sagesse, qu'il s'adresse. Acceptons l'héritage en le lisant ou sans le lire.







vendredi 19 septembre 2014

Anthologie de Nouvelles et Romans de Franz Kafka




Franz Kafka , né le 3 juillet 1884 à Prague et mort le 3 juin 1924 à Kierling

LA METAMORPHOSE.
DANS LA COLONIE PÉNITENTIAIRE.
LETTRE AU PÈRE.
LE CHÂTEAU.
LE PROCÈS.









La métamorphose, fin livre de poche, figurait dans ma bibliothèque d'adolescent. C'était une lecture volontaire, c'est à dire hors obligation scolaire. J'en gardais, à plus de 60 ans, un souvenir assez précis, son côté science fiction je présume. 

Il n'est jamais trop tard pour combler les lacunes d'une vie de lecteur assidu mais dispersé. Pour 2,68 €  la lecture de l'intégrale de Kafka mérite d'être tentée. S'attaquer à une œuvre complète est présomptueux, le risque est la lassitude ou la dispersion. Enfin celle de Kafka n'est quand même pas démesurée. Le tout est de commencer, on verra bien jusqu’où on ira.

Kafka a fait des études de droit et obtenu un doctorat. Il n'a, jusqu'à sa retraite prématurée, jamais abandonné son activité professionnelle dans des compagnies d'assurance et ne s'est donc jamais consacré exclusivement à l'écriture. Il vivait à Prague, mais sa langue maternelle et sa langue d'écriture étaient l'allemand. Il ne pouvait pas se passer d'écrire, mais son travail d'écrivain prenait sa place le soir jusque tard la nuit, dans une vie quotidienne bien réglée.

Une œuvre sauvée de la destruction.

C'est en fréquentant des cercles littéraires pendant ses études que Kafka a rencontré l'écrivain et essayisteMax Brod (né à Prague le 27 mai 1884, mort à Tel AvivIsraël, le20 décembre 1968 ) . Ils se lient d'amitié.Brod tentera, quasi en vain, de faire éditer les manuscrits de Kafka. Il ne parviendra à ses fins qu'après la mort de ce dernier qui en avait fait son exécuteur testamentaire, mais avec l'ordre de détruire, en les brûlant, tous les manuscrits y compris les lettres. Brod passa donc outre les dernières volontés de Kafka et, à partir de 1920, jusqu'à la guerre, publia les œuvres que Kafka n'avait pas lui même détruites avant sa mort. Les nazis se chargèrent, au début de la guerre de détruire les manuscrits de cette œuvre considérée comme décadente. A la question faut-il lire Kafka le régime nazi a clairement répondu non.

Les lettres à Milena, la lettre au père.

Du point de vue affectif on retiendra deux projets de mariage avortés et une relation passionnée, alors qu'il était déjà malade, atteint de la tuberculose qui l'emporterait à l'age de quarante quatre ans avec Milena Jesenskà sa traductrice tchèque. Je me suis procuré pour trois fois rien sur internet, dans une vieille édition qui sent le moisi, les lettres à Milena, traduites par Alexandre Vialatte. ( Les œuvres libres, mai 1956, librairie Arthème Fayard) Je ne résiste pas à une citation « Je m'aperçois soudain que je ne puis me rappeler en réalité aucun détail particulier de votre visage. Seulement votre silhouette, vos vêtements, au moment où vous êtes partie entre les tables du café : cela, oui, je me souviens… ». Contrairement à ses romans et nouvelles cette correspondance, et c'est bien normal, est insipide, honnêtement je ne lui ai pas trouvé grand intérêt. Plutôt que passionné, Kafka apparaît indécis et pleurnichard. Milena, en plus d'être belle, devait être autrement passionnée. A ses avances pour le rencontrer Kafka oppose des refus gênés. Il préfère rester dans le virtuel épistolaire. Cette correspondance va s'étioler puis cesser deux ans avant la mort de Kafka. Elle ne reflète pas le Kafka écrivain. Milena mourra, déportée à Ravensbrück, le 17 mai 1944.

La longue lettre au père, ou Kafka règle sévèrement et implacablement son compte à son éducation et à son père est une véritable mise en coupe réglée plus freudienne que Kafkaïenne. Elle est quand même l’œuvre du Kafka écrivain, alors que les lettres à Miléna sont celles de l'homme, malade et affectivement inachevé. Elle est cependant exempte de situations kafkaïennes.

Une œuvre indémodable et intemporelle.
Concernant Kafka la question "peut-on encore le lire ?"  est presque grotesque. Il n'est rattachable à aucun courant littéraire et l'ensemble des ses écrits romanesques et de ses nouvelles est traversé par une vision unique du monde. Le monde vu par Kafka est entre les mains d'une bureaucratie ou chacun occupe avec conviction une place incertaine. Des hiérarchies illisibles, des ordres incompréhensibles, des questions sans réponses, des réponses sans questions, des silences, des attentes créent des situations absurdes. Elles le sont pour le lecteur mais pas pour les acteurs qui semblent parfaitement s'en accommoder.

La lecture de kafka est hypnotique et angoissante. L'histoire avance de situations absurdes en situations encore plus absurdes, provoquant des retournements, en général sans conséquences graves. Il y a peu de violences physiques et encore moins de mort violentes. Même dans la colonie pénitentiaire la violence est tellement outrancière qu'elle en devient abstraite et sans effet de répulsion sur le lecteur. Juste l'angoisse.

La mécanique du récit, bien que basée sur des actions saugrenues est tellement implacable que le lecteur, fasciné, est incapable de quitter le récit, comme dans les meilleurs thrillers. J'ai avalé tout Kafka, en tout cas l'anthologie, achetée en version numérique d'une seule traite.

Le cerveau de Kafka n'a pas le fonctionnement commun. Lorsqu'il écrit et quoi qu'il écrive, le cerveau de Kafka produit naturellement des situations kafkaïennes. Il ne saurait pas faire autre chose.

Je vais faire un rapprochement osé et peut être pas forcément pertinent, mais il y a un autre auteur dont le cerveau ne fonctionne pas sur le mode commun, c'est Jorn Riel, l'écrivain Danois célèbre pour ses racontars Groënlandais. J'ai eu l'occasion de l'entendre lors d'une conférence. Son discours, son humour sa manière de répondre aux questions sont à la fois déroutants et complètement cohérents. En l'entendant je me demandais : mais d’où il sort ça ? Il produit naturellement du Jorn Riel. Voilà il fallait oser, je l'ai fait.

Pour conclure.

Il n'est donc pas étonnant que, s'agissant d'une vision totalement cohérente, issue d'un esprit qui la produit spontanément, l’œuvre de Kafka soit indémodable et intemporelle.
Indémodable, parce qu'il n'use ni des matériaux littéraires, ni de références propres à son temps. Kafka fait naturellement du kafka. 

Intemporelle, parce que cet univers n'est pas daté. Vous pouvez introduire un smartphone dans une scène de Kafka, elle restera du Kafka.

Lisez relisez Franz Kafka.