dimanche 22 février 2015

Les cent vingt journées de Sodome, Marquis de Sade vues par le trou de la serrure du procès du Carlton


Donatien Alphonse François de Sade, né à Paris le 2 juin 1740  et mort le 2 décembre 1814 à l'asile de Charenton




Comment ne pas sortir abasourdi de cette longue litanie de pratiques sexuelles, disons exubérantes, accompagnées de sévices de toutes sortes.

Après avoir échappé à plusieurs reprises à des condamnations pour des délits de débauche, y compris à la peine capitale, Sade purgera une peine de onze ans en prison, dont une partie à la Bastille. Pour tromper l'ennui et sans doute la frustration, c'est pendant ce séjour qu'il écrit recto et verso sur des feuilles de papiers collées en une longue bandes de 12,10 m de long et large de 11,50 cm les cent vingt journées de Sodome. Le rouleau, qui sera retrouvé dans ses affaires connaîtra de longues pérégrinations avant d'être publié dans une version imparfaite en 1904


 Il va falloir pour parler de… j'avais écrit cette œuvre mais je me suis ravisé. Il va falloir pour parler de cet écrit recourir à un vocabulaire assez inusité chez moi. Libertinage, débauche, foutre, con, vit, cul, décharger, jouir, sodomie, inceste, pédophilie, scatologie, nécrologie, viol, torture(s), meurtres, duplicité.

Derrière chaque mot, des pratiques bien réelles, qui se rencontrent dans l'humanité sans doute depuis des siècles. Des réalités marginales mais dont l'acceptation a du varier au cour des siècles dans les sociétés humaines, concernant pour certaines pratiques une infime minorité d'individus pervers, mais beaucoup plus répandues pour d'autres.

C'est un long catalogue de perversions que donne à lire Sade. Au récit des cent vingt journées dont les raffinements vont crescendo partant du banal : inceste, pédophilie, sodomie, et oui on part quand même assez fort pour conclure par des meurtres consécutifs aux tortures les plus raffinées en passant par la scatologie (des dizaines de pages) et les flagellations et sévices divers qui constituent ce que l'on peut nommer dans ce contexte le sadisme ordinaire.

A ce stade tout pourrait être dit de cet écrit hors norme, dont bien sur, je ne souhaite citer aucun passage. J'aurai conclu en disant que la perversion et les pratiques sexuelles les plus bizarres et les plus violentes ont existé de tous temps et dans toutes les sociétés, plus ou moins dissimulées, plus ou moins licites mais toujours présentes.

Les progrès de la civilisations, dans nos sociétés modernes les ont sans doute marginalisées ou en tout cas pour certaines rendues moins licites. Si l'inceste, la pédophilie, la torture sont aujourd'hui complètements proscrits, les autres pratiques relèvent de la liberté de chacun dès lors qu'elles s'exercent en privé et dans le respect de la liberté d'autrui.

Les cent vingt journées de Sodome pourraient être ramenées à une curiosité littéraire ne pouvant certes prétendre ni à l'exemplarité ni à l'universalité.

L'actualité cependant m'a fourni une grille de lecture que je trouve tout à fait pertinente. Il s'agit du procès dit du Carlton de Lille, qui a, du fait de la Présence de Dominique Strauss Khan, Directeur du Fond monétaire international, déchu, présidentiable avorté et libertin assumé, défrayé la chronique médiatique du mois de février 2015.

Étonnamment,  alors que Sade me paraissait excessif au point d'être irréaliste, le parallèle avec l'actualité fonctionne fort bien lorsqu'on se pose certaines questions qui sont simplement celles qu'ont posées les juges pour faire la lumière dans cette affaire.

A qui profite le crime ?

Chez Sade : Quatre amis, tous hommes riches et  de pouvoir : Le Duc de Blangis, le Président de Curval, Durcet, l'évêque de…. Tous adeptes de plaisirs rares, bien organisés pour les pratiquer y compris financièrement«  les fonds de cette bourse qui ne devaient servir qu'aux plaisirs étaient immenses. Leur excessive fortune leur permettait des choses très singulières sur cela, et le lecteur ne doit point s'étonner quand on lui dira qu'il y avait deux millions par an affectés aux seuls plaisirs de la bonne chère et de la lubricité »

A Lille des chefs d'entreprises ou des cadres dirigeants d'entreprises du BTP, le Directeur du fonds monétaire international, un commissaire de police… non pas d'ecclésiastique, les temps ont changé. Des hommes, oui uniquement des hommes, pas de femmes, tous ont l'argent facile et dans leurs domaines respectifs de l'influence. Dominique Strauss Kahn en tant que probable présidentiable est au centre d'un jeu de réseau et d'influences.

Le 7 février Hellen Salvi écrivait dans un article de Médiapart : "DSK ou l'ivresse du pouvoir" : « l'affaire du Carlton est bien plus qu'un simple débat sur le libertinage . Qu'importent la sexualité, les envies ou les mœurs de DSK. Ce qui interroge dans ce dossier, c'est bien le rapport au pouvoir, la courtisanerie, le cynisme et le sentiment d'impunité qui l'accompagne souvent, cette façon d'être non pas dans l’événement mais juste au dessus, de le regarder d'un peu plus haut, sans en percevoir le véritable sens… comme les trois petits singes, il n'a rien vu, rien entendu, rien dit. »

Les parties fines, comme les baptise la presse de manière gourmande sont, je cite le réquisitoire du procureur de la République Frédéric Fèvre « Un groupe d'amis qui faisaient la fête pour se livrer à des actes sexuels, pour satisfaire des égos, des ambitions, voire tout simplement des désirs physiques » phrase assassine certes mais qui dédouane la fine équipe du délit de proxénétisme qui seul est condamnable.

A l'origine des cent vingt journées de Sodome et des neufs soirées libertines de DSK des hommes plutôt murs, de l'argent et le pouvoir

Qui sont les proxénètes ?

Chez Sade : Des rabatteurs ou rabatteuses « Quatre fameuses maquerelles pour les femmes et un pareil nombre de mercures pour les hommes n'avaient d'autres soins que de leur chercher, et dans la capitale et dans les provinces, tout ce qui dans l'un ou l'autre genre, pouvait le mieux assouvir leur sensualité. » les commandes portent sur des enfants, filles et garçons, de belles jeunes filles, des étalons, des prostituées expérimentées capables de les exciter avec milles anecdotes croustillantes et même de vieilles femmes. Pour arriver à leurs fins et ramener les individus les plus conformes au « cahier des charges » qui leur est imposé, ils n'hésitent pas à recourir à des enlèvements avec parfois le meurtre des proches.

Du côté de Lille, le fournisseur de femmes pour les soirées était le désormais célèbre Dodo la Saumure, tenancier tout à fait légal de maisons closes en Belgique et qui puisait dans son cheptel, rayon prostituées, escorts girls haut de gamme, le gibier destiné aux soirées libertines organisées en l'honneur du grand et courtisé Dominique Strauss Kahn. Un partage des rôles somme toute très sadien qui permettra à DSK de garder les mains propres et de faire semblant de croire que les femmes, si disponibles présentes à ses soirées étaient de pures libertines bien éloignées de prétentions mercantiles. Dodo la Saumure va se donner des intonations à la Audiard pour parfaire le cynisme de son personnage et lui donner un côté cinématographique sympa. A l'heure ou j'écris ces lignes, c'est à son encontre que le réquisitoire est le plus sévère. DSK et ses amis n'auront sans doute à souffrir ou peut-être jouir que de la publicité faite à leurs tristes pratiques sexuelles.

Chez Sade comme à Lille pour ne pas se salir les mains on recours à un petit peuple interlope de proxénètes, intermédiaires, rabatteurs, souteneurs. A eux les condamnations !

Les victimes ?

Chez Sade, tout être humain, mais aussi des animaux et même des cadavres, tombant sous la coupe du désir de nos quatre débauchés est une victime. Enfant, bébé mêmes, filles ou garçons, jeunes adultes, personnes âgées qu'importe le sexe se voient dénier toute humanité. Ils doivent consentir, accepter, subir, se soumettre à tous les outrages et à toutes les pratiques, dont certaines vont bien au-delà de la sexualité la plus bestiales. La scatologie occupe une place de choix dans les cent vingt journées, les sévices et les tortures aussi. C'est quand même Sade qui a inventé le sadisme ! Les corps sont livrés totalement, et ce jusqu'à ce que mort s'en suive, à des individus guidés uniquement par la satisfaction de leurs désirs. Sur quarante six personnes recrutées par nos quatre compères trente six tuées dix survivantes après les trois mois d'orgies.

Les soirées organisées pour DSK, sont loin de l'idée que l'on peut se faire d'un libertinage bon enfant. La parole des jeunes femmes, « invitées, consentantes mais rémunérées » a constitué l'épisode le plus émouvant du procès. Je reprends la chronique de Ellen Salvi dans Médiapart le 2 février. « Face aux juges, plusieurs jeunes femmes ayant participé à ces soirées ont décrit par le menu le déroulé de celles-ci. Les mots employés sont hard, dans tous les sens du terme. Elles parlent d'abattage, de véritable boucherie de carnage, même… elles ont porté par écrit la violence du comportement sexuel de DSK, son appétence pour les rapports sexuels de type sodomie… qu'il pratiquait de façon brutale sans tenir compte de l'avis et du bien être de ses partenaires…une façon d'agir qui démontre sa connaissance de la qualité des filles. »

Et bien voilà est-on si loin de Sade et du sadisme ? Des femmes réduites à des corps dont on dispose à sa guise sans considération de ce qu'elles ressentent, sans entendre leurs protestations. Il ne leur a certes pas arraché de dents ou coupé de doigts… mais peut-être les a-t-il battues et leur a chié dessus. Les limites en la matière n'ont rien a voir avec l'humanité, seulement avec l'époque et peut-être la peur du gendarme...

Il y a donc bien des victimes, c'est à dire des personnes dont l'humanité est déniée et qu'importe que ce soit des prostituées, en tout cas ce sont des femmes. Dans d'autres procès, pas si anciens, c'étaient aussi des enfants.

Et la morale ?

Le tribunal de Lille a mainte fois répété que le procès de Lille n'était pas celui de la morale mais celui du droit. En la matière ce procès s'est volontairement réduit à celui des intermédiaires. Seul le proxénétisme est un délit, c'est a dire le fait de pratiquer ou de favoriser le commerce d'êtres humains. Voilà pourquoi le seul condamné risque d'être Dodo la Saumure,  tenancier tout à fait légal de maisons de prostitution en Belgique. Ce qui est illégal d'un côté de la frontière est légal de l'autre !

Pour le reste le tribunal, bien qu'il se soit délecté de l'étalage de la description par le menu des neufs « parties fines » se gardera bien d'apprécier ou de juger les traitements imposés par des hommes à des femmes. Au cours du procès seul Maître Daoud avocat de l'association le Nid parlera de morale. « notre objectif en venant ici était d'avoir leur parole (les prostituées) et elles mêmes prises en considération en tant que personnes et non comme des petites, du matériel, des dossiers. » Il revendique et assume le droit de parler de morale alors que le tribunal veut s'abstenir de juger le comportement sexuel des prévenus. 

L'affaire est close, circulez, il n'y a rien à voir ! Juste « des petites soupapes de récréation dans une vie extrêmement trépidante. » C'est bien cent vingt journées de Sodome qu'il aurait fallu organiser pour ce pauvre Dominique Strauss Kahn.

L'histoire est finalement très simple et se moque du temps et des progrès de la civilisation. D'un côté des hommes riches, influents, sans scrupules pouvant se passer toutes leurs fantaisie sexuelles en payant tout le monde : les victimes et leurs intermédiaires et même, sous forme de faveurs leurs juges. Au milieu un petit peuple de proxénètes-maquereaux, âpres au gain et sans scrupules. En face les plus faibles qui se trouvent être, depuis toujours et pour toujours, des femmes et des enfants.

Malheureusement, ce que je nomme les progrès de la civilisation, qui ont apporté de l’émancipation aux femmes de la protection et des droits aux enfants, ont laissé dans le domaine du sexe vénal un trou béant qui n'est pas prêt de se combler. Le spectacle pitoyable du procès du Carlton mal préparé juridiquement et sur-exploité médiatiquement laisse un goût amer. DSK et ses semblables peuvent tranquillement continuer à se payer du matériel et à le traiter pire que du bétail.

L'univers fantasmatique et inhumain des Cent vingt journées de Sodome de Sade est malheureusement encore bien présent dans notre piètre humanité.