Donatien Alphonse François de Sade, né à Paris le 2 juin 1740 et mort le 2 décembre 1814 à l'asile de Charenton
Comment
ne pas sortir abasourdi de cette longue litanie de pratiques
sexuelles, disons exubérantes, accompagnées de sévices de toutes
sortes.
Après
avoir échappé à plusieurs reprises à des condamnations pour des
délits de débauche, y compris à la peine capitale, Sade purgera
une peine de onze ans en prison, dont une partie à la Bastille. Pour
tromper l'ennui et sans doute la frustration, c'est pendant ce séjour
qu'il écrit recto et verso sur des feuilles de papiers collées en
une longue bandes de
12,10 m de
long et
large de 11,50 cm
les
cent vingt journées de Sodome.
Le rouleau, qui sera retrouvé dans ses affaires connaîtra de
longues pérégrinations avant d'être publié dans une
version imparfaite en 1904
Derrière chaque mot, des pratiques bien
réelles, qui se rencontrent dans l'humanité sans doute depuis des
siècles. Des réalités marginales mais dont l'acceptation a du
varier au cour des siècles dans les sociétés humaines, concernant
pour certaines pratiques une infime minorité d'individus pervers,
mais beaucoup plus répandues pour d'autres.
C'est un long catalogue de perversions que
donne à lire Sade. Au récit des cent vingt journées dont les
raffinements vont crescendo partant du banal : inceste,
pédophilie, sodomie, et oui on part quand même assez fort pour
conclure par des meurtres consécutifs aux tortures les plus
raffinées en passant par la scatologie (des dizaines de pages) et
les flagellations et sévices divers qui constituent ce que l'on
peut nommer dans ce contexte le sadisme ordinaire.
A ce
stade tout pourrait être dit de cet écrit hors norme, dont bien
sur, je ne souhaite citer aucun passage. J'aurai conclu en disant que
la perversion et les pratiques sexuelles les plus bizarres et les
plus violentes ont existé de tous temps et dans toutes les sociétés,
plus ou moins dissimulées, plus ou moins licites mais toujours
présentes.
Les
progrès de la civilisations, dans nos sociétés modernes les ont
sans doute marginalisées ou en tout cas pour certaines rendues moins
licites. Si l'inceste, la pédophilie, la torture sont aujourd'hui
complètements proscrits, les autres pratiques relèvent de la
liberté de chacun dès lors qu'elles s'exercent en privé et dans le
respect de la liberté d'autrui.
Les
cent vingt journées de Sodome pourraient être ramenées à une
curiosité littéraire ne pouvant certes prétendre ni à
l'exemplarité ni à l'universalité.
L'actualité
cependant m'a fourni une grille de lecture que je trouve tout à fait
pertinente. Il s'agit du procès dit du Carlton de Lille, qui a, du
fait de la Présence de Dominique Strauss Khan, Directeur du Fond
monétaire international, déchu, présidentiable avorté et libertin
assumé, défrayé la chronique médiatique du mois de février 2015.
Étonnamment,
alors que Sade me paraissait excessif au point d'être irréaliste,
le parallèle avec l'actualité fonctionne fort bien lorsqu'on se
pose certaines questions qui sont simplement celles qu'ont posées les
juges pour faire la lumière dans cette affaire.
A
qui profite le crime ?
Chez
Sade : Quatre amis, tous hommes riches et de pouvoir : Le
Duc de Blangis, le Président de Curval, Durcet, l'évêque de…. Tous
adeptes de plaisirs rares, bien organisés pour les pratiquer y
compris financièrement« les fonds de cette bourse qui ne
devaient servir qu'aux plaisirs étaient immenses. Leur excessive
fortune leur permettait des choses très singulières sur cela, et le
lecteur ne doit point s'étonner quand on lui dira qu'il y avait deux
millions par an affectés aux seuls plaisirs de la bonne chère et de
la lubricité »
A
Lille des chefs d'entreprises ou des cadres dirigeants
d'entreprises du BTP, le Directeur du fonds monétaire international,
un commissaire de police… non pas d'ecclésiastique, les temps ont
changé. Des hommes, oui uniquement des hommes, pas de femmes, tous
ont l'argent facile et dans leurs domaines respectifs de l'influence.
Dominique Strauss Kahn en tant que probable présidentiable est au
centre d'un jeu de réseau et d'influences.
Le 7
février Hellen Salvi écrivait dans un article de Médiapart : "DSK ou l'ivresse du pouvoir" : « l'affaire du
Carlton est bien plus qu'un simple débat sur le libertinage .
Qu'importent la sexualité, les envies ou les mœurs de DSK. Ce qui
interroge dans ce dossier, c'est bien le rapport au pouvoir, la
courtisanerie, le cynisme et le sentiment d'impunité qui
l'accompagne souvent, cette façon d'être non pas dans l’événement
mais juste au dessus, de le regarder d'un peu plus haut, sans en
percevoir le véritable sens… comme les trois petits singes, il n'a
rien vu, rien entendu, rien dit. »
Les
parties fines, comme les baptise la presse de manière gourmande sont, je cite le réquisitoire du procureur de la République
Frédéric Fèvre « Un groupe d'amis qui faisaient la fête
pour se livrer à des actes sexuels, pour satisfaire des égos, des
ambitions, voire tout simplement des désirs physiques »
phrase assassine certes mais qui dédouane la fine équipe du délit
de proxénétisme qui seul est condamnable.
A
l'origine des cent vingt journées de Sodome et des neufs soirées
libertines de DSK des hommes plutôt murs, de l'argent et le pouvoir
Qui
sont les proxénètes ?
Chez Sade : Des rabatteurs ou rabatteuses « Quatre fameuses maquerelles pour les femmes et un pareil nombre de mercures pour les hommes n'avaient d'autres soins que de leur chercher, et dans la capitale et dans les provinces, tout ce qui dans l'un ou l'autre genre, pouvait le mieux assouvir leur sensualité. » les commandes portent sur des enfants, filles et garçons, de belles jeunes filles, des étalons, des prostituées expérimentées capables de les exciter avec milles anecdotes croustillantes et même de vieilles femmes. Pour arriver à leurs fins et ramener les individus les plus conformes au « cahier des charges » qui leur est imposé, ils n'hésitent pas à recourir à des enlèvements avec parfois le meurtre des proches.
Chez Sade : Des rabatteurs ou rabatteuses « Quatre fameuses maquerelles pour les femmes et un pareil nombre de mercures pour les hommes n'avaient d'autres soins que de leur chercher, et dans la capitale et dans les provinces, tout ce qui dans l'un ou l'autre genre, pouvait le mieux assouvir leur sensualité. » les commandes portent sur des enfants, filles et garçons, de belles jeunes filles, des étalons, des prostituées expérimentées capables de les exciter avec milles anecdotes croustillantes et même de vieilles femmes. Pour arriver à leurs fins et ramener les individus les plus conformes au « cahier des charges » qui leur est imposé, ils n'hésitent pas à recourir à des enlèvements avec parfois le meurtre des proches.
Du
côté de Lille, le fournisseur de femmes pour les soirées était le
désormais célèbre Dodo la Saumure, tenancier tout à fait légal
de maisons closes en Belgique et qui puisait dans son cheptel, rayon
prostituées, escorts girls haut de gamme, le gibier destiné aux
soirées libertines organisées en l'honneur du grand et courtisé
Dominique Strauss Kahn. Un partage des rôles somme toute très
sadien qui permettra à DSK de garder les mains propres et de faire
semblant de croire que les femmes, si disponibles présentes à ses
soirées étaient de pures libertines bien éloignées de prétentions
mercantiles. Dodo la Saumure va se donner des intonations à la
Audiard pour parfaire le cynisme de son personnage et lui donner un
côté cinématographique sympa. A l'heure ou j'écris ces lignes,
c'est à son encontre que le réquisitoire est le plus sévère. DSK
et ses amis n'auront sans doute à souffrir ou peut-être jouir que
de la publicité faite à leurs tristes pratiques sexuelles.
Chez
Sade comme à Lille pour ne pas se salir les mains on recours à un
petit peuple interlope de proxénètes, intermédiaires, rabatteurs,
souteneurs. A eux les condamnations !
Les
victimes ?
Chez
Sade, tout être humain, mais aussi des animaux et même des
cadavres, tombant sous la coupe du désir de nos quatre débauchés
est une victime. Enfant, bébé mêmes, filles ou garçons, jeunes
adultes, personnes âgées qu'importe le sexe se voient dénier toute
humanité. Ils doivent consentir, accepter, subir, se soumettre à
tous les outrages et à toutes les pratiques, dont certaines vont
bien au-delà de la sexualité la plus bestiales. La scatologie
occupe une place de choix dans les cent vingt journées, les sévices
et les tortures aussi. C'est quand même Sade qui a inventé le
sadisme ! Les corps sont livrés totalement, et ce jusqu'à ce
que mort s'en suive, à des individus guidés uniquement par la
satisfaction de leurs désirs. Sur quarante six personnes recrutées
par nos quatre compères trente six tuées dix survivantes après les
trois mois d'orgies.
Les
soirées organisées pour DSK, sont loin de l'idée que l'on peut se
faire d'un libertinage bon enfant. La parole des jeunes femmes,
« invitées, consentantes mais
rémunérées » a
constitué l'épisode le plus émouvant du procès. Je reprends la
chronique de Ellen Salvi dans Médiapart le 2 février. « Face
aux juges, plusieurs jeunes femmes ayant participé à ces soirées
ont décrit par le menu le déroulé de celles-ci. Les mots employés
sont hard, dans tous les sens du terme. Elles parlent d'abattage, de
véritable boucherie de carnage, même… elles ont porté par écrit
la violence du comportement sexuel de DSK, son appétence
pour les rapports sexuels de type sodomie… qu'il pratiquait de
façon brutale sans tenir compte de l'avis et du bien être de ses
partenaires…une façon d'agir qui démontre sa connaissance de la
qualité des filles. »
Et bien voilà est-on si loin de Sade et du sadisme ? Des femmes
réduites à des corps dont on dispose à sa guise sans considération
de ce qu'elles ressentent, sans entendre leurs protestations. Il ne
leur a certes pas arraché de dents ou coupé de doigts… mais
peut-être les a-t-il battues et leur a chié dessus. Les limites en
la matière n'ont rien a voir avec l'humanité, seulement avec
l'époque et peut-être la peur du gendarme...
Il y
a donc bien des victimes, c'est à dire des personnes dont l'humanité
est déniée et qu'importe que ce soit des prostituées, en tout cas
ce sont des femmes. Dans d'autres procès, pas si anciens, c'étaient
aussi des enfants.
Et
la morale ?
Le
tribunal de Lille a mainte fois répété que le procès de Lille
n'était pas celui de la morale mais celui du droit. En la matière
ce procès s'est volontairement réduit à celui des intermédiaires.
Seul le proxénétisme est un délit, c'est a dire le fait de
pratiquer ou de favoriser le commerce d'êtres humains. Voilà
pourquoi le seul condamné risque d'être Dodo la Saumure, tenancier
tout à fait légal de maisons de prostitution en Belgique. Ce qui
est illégal d'un côté de la frontière est légal de l'autre !
Pour
le reste le tribunal, bien qu'il se soit délecté de l'étalage de
la description par le menu des neufs « parties fines » se
gardera bien d'apprécier ou de juger les traitements imposés par
des hommes à des femmes. Au cours du procès seul Maître Daoud
avocat de l'association le Nid parlera de morale. « notre
objectif en venant ici était d'avoir leur parole (les prostituées)
et elles mêmes prises en considération en tant que personnes et non
comme des petites, du matériel, des dossiers. » Il
revendique et assume le droit de parler de morale alors que le
tribunal veut s'abstenir de juger le comportement sexuel des
prévenus.
L'affaire
est close, circulez, il n'y a rien à voir ! Juste « des
petites soupapes de récréation dans une vie extrêmement
trépidante. » C'est bien
cent vingt journées de Sodome qu'il aurait fallu organiser pour ce
pauvre Dominique Strauss Kahn.
L'histoire
est finalement très simple et se moque du temps et des progrès de
la civilisation. D'un côté des hommes riches, influents, sans
scrupules pouvant se passer toutes leurs fantaisie sexuelles en
payant tout le monde : les victimes et leurs intermédiaires et
même, sous forme de faveurs leurs juges. Au milieu un petit peuple
de proxénètes-maquereaux, âpres au gain et sans scrupules. En face
les plus faibles qui se trouvent être, depuis toujours et pour
toujours, des femmes et des enfants.
Malheureusement,
ce que je nomme les progrès de la civilisation, qui ont apporté de
l’émancipation aux femmes de la protection et des droits aux
enfants, ont laissé dans le domaine du sexe vénal un trou béant
qui n'est pas prêt de se combler. Le spectacle pitoyable du procès
du Carlton mal préparé juridiquement et sur-exploité
médiatiquement laisse un goût amer. DSK et ses semblables peuvent
tranquillement continuer à se payer du matériel et à le traiter
pire que du bétail.
L'univers
fantasmatique et inhumain des Cent vingt journées de Sodome de Sade
est malheureusement encore bien présent dans notre piètre humanité.