jeudi 22 janvier 2015

Relire les attentat de janvier 2015 à la lumière de Voltaire, Traité de la tolérance




Voltaire né le 21 novembre 1694 à Paris, ville ou il est mort en 1778 à 83 ans

Détails sur le produit










Voltaire
Traité de la tolérance à l'occasion de la mort de Jean Calas
Publié en 1763
Toutes les citations sont extraites de cet ouvrage.


« Peut-être un tableau raccourci et fidèle de tant de calamités ouvrira les yeux de quelques personnes peu instruites, et touchera des cœurs bien faits »

« Des lecteurs attentifs qui se communiquent leurs pensées vont toujours plus loin que l'auteur »

« Les hommes ont eu longtemps leur enfer dans cette vie »

Voltaire fait un retour en force dans l'actualité. Son traité de la tolérance, déjà édité à 120 000 exemplaire en 2003 dans la collection folio à 2€, fait l'objet d'une réimpression par Gallimard de
10 000 exemplaires.

Après l'émotion et la mobilisation voilà l'heure de la réflexion. Trois terroristes en mission vengeance ont semé dix sept cadavres derrière eux. Des dessinateurs et des salariés du journal satirique Charlie Hebdo, l'agent de service d'une entreprise, une jeune policière qui s'est malencontreusement trouvée à portée de kalachnikov, mais aussi les clients, qui se trouvaient là, d'une épicerie Casher, des juifs quoi. Les trois assassins ont déclaré agir au nom d'organisations islamiques, implantées au Moyen Orient, qui les ont endoctrinés et instrumentalisés pour tuer et se faire tuer.

Ils ont tué au nom d'Allah, et bien que fort peu de musulmans se reconnaissent dans ces illuminés ils ont jeté le trouble dans notre société plurielle, plutôt naturellement accueillante et fraternelle mais traversée par le doute et travaillée au corps par des idéologues porteurs d'idées racistes, xénophobes, identitaires, islamophobe.

Les grands rassemblements du 17 janvier, ont vu, l'espace d'une journée, des citoyens de tous ages, toutes sensibilité politiques, et croyances ou incroyances religieuses, défiler cote à cote pour défendre la liberté d'expression, la liberté de penser, le droit d'être différent, et dire à tous les musulmans de France que nous ne faisions pas d'amalgame entre eux et les illuminés islamistes radicaux.

Le monde entier non seulement s'y est associé, mais encore il a reconnu dans ce mouvement la vraie France. Et c'est vrai ce qui s'est passé ne pouvait se passer qu'en France parce que la France, sa culture et ses valeurs se sont constituées sur l'héritage de Voltaire et de toute la tradition des lumières. La France n'a pas brusquement retrouvé ses valeurs elle s'est retrouvé dans des valeurs qui ne l'ont jamais quittée.

La France a, dans ses grands moments, l'habitude de convoquer ses grands hommes : Montaigne, Pascal, Descartes, Voltaire, Hugo, Zola… bien sur j'en oublie.

D'instinct chacun a compris que le fond du problème était la tolérance, il n'est pas étonnant que Voltaire soit appelé à la rescousse.

Voltaire aborde le sujet en relatant un fait divers qui met en scène une famille les Calas et d'une ville, Toulouse. La tolérance se joue au sein d'une famille protestante qui accepte (tolère) la conversion au catholicisme d'un de ses fils. Ce jeune homme, qui « passait pour un esprit inquiet, sombre et violent » mit fin à ses jours.

Toulouse, selon Voltaire, avait en matière de tolérance de très mauvais antécédents, puisqu'elle commémore chaque année, depuis deux siècles, le massacre de 4000 hérétiques.

L'exemple est cependant curieux : une famille protestante est dénoncée, jugée, exterminée, parce que la rumeur publique l'accuse d'avoir assassiné leur fils par intolérance religieuse. La tolérance au sein de cette famille est pour la population et les édiles de Toulouse quelque chose d'inimaginable. Le paradoxe est que la justice, influencée par la rumeur sanctionne un crime d’intolérance, simplement parce qu'elle ne peut pas concevoir la tolérance. L'exemple qui, comme le souligne le titre, est l'occasion pour Voltaire d'écrire sur la tolérance, est un peu tiré par les cheveux. Il n'en met pas moins les religions au centre du débat. En Languedoc les catholiques contre les huguenots « On dirait qu'on a fait vœux de haïr ses frères, car nous avons assez de religion pour haïr ses frères et pas assez pour aimer et secourir. »

Voilà posés les termes du débat. Après avoir relaté les massacres perpétrés durant plusieurs siècles, dans toutes l’Europe, autant par les catholiques que les protestants, et ne nous avoir épargné aucune description de châtiments, Voltaire constate que de son temps « la raison a fait tant de progrès » parce que « le gouvernement s'est fortifié partout, tandis que les mœurs se sont adoucies » mais surtout « La philosophie, la seule philosophie, cette sœur de la religion, a désarmé des mains que la superstition avait si longtemps ensanglantées. Et l'esprit humain au réveil de son ivresse s'est étonné des excès ou l'avait emporté le fanatisme» La pensée donc, la force de la pensée sage, contre l'intolérance des croyances.

« Sortons de notre petite sphère et examinons le reste de notre globe» De Constantinople à l'Inde, à la chine, au Japon Voltaire ne voit que coexistante pacifique de religions, tolérance et tranquillité. Et si l’empereur de chine chasse les jésuites « ce n’était pas parce qu'il était intolérant, c'est parce que les jésuites l'étaient. »

Nous voilà au chapitre V « Comment la tolérance peut-être admise » curieuse question vue depuis notre siècle, mais quelles réponses pour nous inspirer ? « Le grand moyen de diminuer le nombre des maniaques, s'il en reste, est d'abandonner cette maladie de l'esprit au régime de la raison, qui éclaire lentement, mais infailliblement, les hommes. Cette raison est douce, elle est humaine, elle inspire l'indulgence, elle étouffe la discorde, elle affermit la vertu, elle rend aimable l'obéissance aux lois, plus encore que la force ne les maintient. »

« il faut toujours partir du point ou l'on est, et de celui ou les nations sont parvenues. »

Voltaire va jusqu'à s'interroger sur un droit à l'intolérance. L'actualité confirme la pertinence de la question. La Une bien modérée et bien consensuelle du numéro de Charlie hebdo, ayant suivi le massacre provoque un tollé dans de nombreux pays musulman qui crient au blasphème. Ces manifestations monstres, ces destruction d'églises et de commerces appartenant à des catholiques, ces appels à la vengeance et au meurtre, au Niger, en Tchétchénie, au Sénégal et ailleurs, sont soit Encouragées et même organisées par les gouvernements, soit complaisamment tolérées. L'esprit de Voltaire, celui de la raison est bien loin d'avoir éclairé une bonne partie de l'humanité. Même en France, une partie de la communauté musulmane se trouve déchirée, par la tentation de l'intolérance. Des jeunes à l'école se désolidarisent des manifestations d'hommage aux victimes. Les communautés sont sous la pression des dogmatiques qui veulent imposer aux femmes une manière de se vêtir qui les infériorisent. Ces réactions pseudo identitaires sont d'autant plus fortes que les musulmans sentent la montée du rejet et de l'islamophobie attisés par d'irresponsables idéologues et des parties politiques en lutte pour le pouvoir.



Le droit à l'intolérance n'est pas, loin s'en faut, une vue de l'esprit, c'est une gangrène qui gagne du terrain. Merci à Voltaire de venir à notre rescousse. « Le droit à l'intolérance est donc absurde et barbare : c'est le droit des tigres, et il est bien horrible, car les tigres ne déchirent que pour manger, et nous nous sommes exterminées pour des paragraphes. »

Des paragraphes ? Que veut-il dire ? Et bien que l''intolérance trouve sa source dans les idées, les représentation plus que dans l'être. Petit détour par l'antiquité gréco-latine. Socrate d'abord tué pour ses idées. « l'exemple de Socrate est au fond le plus terrible argument qu'on puisse alléguer contre l'intolérance. » Mis à part cet exemple fondateur, Voltaire considère que Athènes et Rome ont été des exemples de tolérance, simplement parce que les pratiques religieuses multiples, relevaient du chacun chez soit. « Y a-t-il un plus grand exemple que la tolérance était regardée par les romains comme la loi la plus sacrée du droit des gens. » 

Je ne suis pas assez au fait de l'histoire pour Faire mienne l'affirmation de Voltaire « Qu'il est impossible d'attribuer à l’intolérance le désastre arrivé sous Néron à quelques malheureux demi-juifs et demi-chrétiens » « il y eu par la suite des martyrs chrétiens. Il est bien difficile de savoir précisément pour quelles raisons ces martyrs furent condamnés, mais j'ose croire qu’aucun ne le fut,...pour sa seule religion. »

Voltaire consacre un long double chapitre au judaïsme. Mais attention dans le premier sous chapitre il est question de leur intolérance: obligations et interdits alimentaires, rituels, cérémonies, toutes pratiques, considérée de droit divin, font le terreau de l'intolérance. Dans le second de leur tolérance « en un mot si l'on veut examiner de près le judaïsme, on sera étonné d'y trouver la plus grande tolérance au milieu des horreurs les plus barbares. C'est une contradiction il est vrai ; presque tous les peuples se sont gouvernés par des contradictions. Heureuse celle qui amène des mœurs douces quand on a des lois de sang ! »

Voilà qui laisse dubitatif, mais n'est on pas au cœur de la problématique. La tolérance n'est elle pas une forme de dépassement ? Faire coexister dans la paix et la fraternité des hommes aux croyances différentes. Effacer les croyance de la sphère publique et les cantonner à la sphère privée. C'est là toute la problématique de la laïcité. La laïcité n'est-t-elle pas l'avancée sociale la plus déterminante vers la tolérance ? Voilà encore un domaine ou la France est exemplaire. Peut-on envisager la notion même de tolérance dans des pays ou une religion est d’État.

La France dispose de tous les éclairages et, avec la laïcité, d'un outil sans pareil de mise en œuvre de de la tolérance. Pourquoi certains ne l'ont-ils toujours pas compris et s'acharnent à rechercher une illusoire identité nationale autour de traditions chrétiennes. Qu'en penses tu Voltaire ? Quelle régression !

Entre interrogations de l'histoire, de la chine à la vie et la parole de Jésus en passant par le judaïsme, citations des évangiles, témoignages de théologiens, paraboles ( Dialogue entre un mourant et un homme qui se porte bien, lettre écrite au Jésuite Tellier…, relation d'une dispute de controverse à la chine) Voltaire tourne autour des notions de tolérance et d’intolérance, pèse le pour et le contre, s'interroge sur une légitimité possible de gouvernement mus par l'intolérance. Il philosophe sur vertu et science et ouvre le chapitre sur une affirmation « Moins de dogme, moins de disputes ; et moins de disputes, moins de malheurs : si cela n'est pas vrai, j'ai tort. » tout est dit dans le langage le plus simple et le plus accessible ! Pour être heureux ici et dans l'au-delà, seulement deux qualités sont requises : être juste et être indulgent.

Voltaire écrivait à une époque ou les querelles de dogmes et le long cortège de massacres qu'ils suscitèrent en France et en Europe occupaient le débat. C'est à la lumière de l'histoire chaotique d'une croyance en un même Dieu séparée en plusieurs dogmes que Voltaire a forgé sa philosophie de la tolérance. Son propos se veut cependant universel « Il ne faut pas un grand art, une éloquence bien recherchée, pour prouver que les chrétiens doivent se tolérer les uns les autres. Je vais plus loin : je vous dis qu'il faut regarder tous les hommes comme nos frères. Quoi ! Mon frère le turc ? Mon frère le Chinois ? Le Juif ? Le Siamois ? Oui, sans doute ; ne sommes nous pas tous les enfants d'un même père, et créatures du même Dieu ? »

Je suis tenté par d'autres citations, Voltaire est si simple et si clairvoyant ! L'homme n'est qu'une fourmis parmi neuf cent million sur terre, sa prétention à être supérieur à d'autres et à ce titre les supprimer est bien dérisoire ! Tuer pour des formules, comme c'est dérisoire et pourtant les islamistes radicaux de tout poils appuient leur folie meurtrière sur quelques écrits dogmatiques, bien éloignés des préceptes de la religion au nom de laquelle ils massacrent. Voir l’intéressant article de médiapart : Plongée dans les lectures des djihadistes des attentats de Paris. http://www.mediapart.fr/journal/international/170115/plongee-dans-les-lectures-des-djihadistes-des-attentats-de-paris

Je note que le mot Islam n'est pas une seule fois prononcé par Voltaire, a croire que les Chrétiens avaient alors suffisamment à faire en se massacrant entre eux pour s'occuper des musulmans.

Voltaire boucle son livre en revenant à l'affaire Calas, son traité ayant été écrit pour influer sur les juges du Conseil d’État à Paris. « Je sème un grain qui pourra un jour produire une moisson...répandre partout sa lumière. » L'arrêt de Toulouse fût cassé au bout de plus de deux ans de procédure.

Les Français relisent Voltaire, c'est une excellente chose. Peut-être cela mettra-t-il un terme à quelques égarements d'intellectuels et d'hommes politiques en France. Je doute que Voltaire, même traduit en arabe, entre un jour dans les lectures de djihadistes. Tous, non musulmans, musulmans modérés du monde entier. (Je regrette de devoir écrire « modérés », cela devrait aller de soit, mais il faut bien faire la distinction avec les fanatiques.) sommes, et pour longtemps victimes de l’intolérance. C'est une guerre disent nos gouvernants, une vrai avec des tactiques des armes et des militaires, c'est aussi une guerre des idées car la victoire ne peut venir que de la victoire de la tolérance. Comment ? Quand ? Jamais ? La réponse dépend de notre confiance en l'humain.

En tout cas merci Voltaire.