Louis
Marie Julien Viaud dit Pierre
Loti,
né le 14 janvier 1850 à Rochefort,
mort le 10 juin 1923 à Hendaye,
Henri de Montherlant a écrit que "Au Maroc" est le meilleur livre qu'il ait jamais lu sur le Maroc. Peut-on lui faire confiance ?
Henri de Montherlant a écrit que "Au Maroc" est le meilleur livre qu'il ait jamais lu sur le Maroc. Peut-on lui faire confiance ?
Au Maroc » Publié en 1890 est le journal du voyage d'une ambassade conduite par le Ministre plénipotentiaire Patenôtre de Tanger à Fez puis Meknès, entre le 26 mars et le 4 mai 1889, pour présenter ses lettres créance au Sultan de Fez. Cette période correspond à une interruption de la carrière de marin de Pierre Loti. Il reste cependant un militaire et c'est à titre officiel qu'il accompagne le Ministre. Son rôle demeure flou, en tout cas son journal, fort détaillé ne fait état d'aucune mission, hormis représentative.
Cette
ambassade qui fut effectuée avec toute la pompe diplomatique, les
commodités et les services dus à des personnages importants ne peut
à proprement parler pas être considérée comme un véritable
voyage, tout au moins au sens d'une Alexandra David Neil ou d'autres
voyageurs explorateurs. Bien sur le voyage effectué à cheval ou à
dos de mule est proche de la nature, mais bien loin des vrais gens et
de la vraie vie.
Un
tel contexte n'est évidement pas propice à une approche du Maroc
profond. Mais Pierre Loti, le diplomate, auréolé de son prestige
diplomatique, est-il intéressé par le Maroc du peuple ?
A quoi
peut-on juger qu'une œuvre résiste à l'épreuve du temps ? C'est, bien
entendu, d'abord, une
question de qualité littéraire , mais c'est surtout une question de
valeurs et de préjugés. Les écrivains dont le nom a résisté à
l'oubli ont généralement une grande et belle écriture. C'est
le cas de Pierre Loti « Au Maroc » est superbement
écrit, une écriture qui magnifie la beauté des paysages sauvages
et incroyablement fleuris du Maroc au printemps. Je connais et
j'adore le Maroc à cette saison ou la nature se tapisse de fleurs milticolores et ou les cigognes se regoupent avant de regagner l'Europe, Pierre Loti lui rend presque justice,
je dis « presque » car il bascule sans transition d'une vision de jardin d'éden à la vision d'un Pays désolé couvert de friches et de
ruines, sans routes ni ponts. L'auteur oscille entre attraction et répulsion. Les changements de registre de vocabulaire traduisent son ambiguité. Il voudrait faire penser qu'il aime mais le naturel de sa gène revient au galop. La pluie omniprésente renforce l' atmosphère dominante d'abandon et de sauvagerie.
Un écrivain du 19ème siècle sait glorifier la nature, c'est même sa marque de fabrique, mais celui qui résiste au temps n'est autre que celui qui sait
dépasser les préjugés de son époque pour en voir et en
dénoncer les travers, parce qu'il a l'intuition de valeurs humaines
universelles et intemporelles, autour desquelles peuvent se retrouver
tous les lecteurs à travers les époques. Vous avez compris que
c'est loin d'être le cas pour Pierre Loti
.
Plutôt
que de me lancer dans de laborieuses analyses ou périphrases, je
vais laisser Pierre Loti faire seul la preuve de sa suffisance, de
son peu d'ouverture d'esprit, de ses préjugés, de son conformisme,
de son mépris, de son racisme, de son antisémitisme de son
ambiguïté à l'égard des femmes et de son manque de clairvoyance
politique et historique. Je ne voudrais pas que le costume que je
taille à notre prestigieux académicien puisse être taxé de
subjectivité due à un parti pris ou un préjugé défavorable de ma
part, aussi je vais faire la part belle aux citations.
Suffisance
« Nous
voyageons avec tout le confort des nomades n'ayant à nous occuper de
rien » Pierre Loti voyage avec une imposante caravane escortée
par des cavaliers armés et comptant une multitude de serviteurs qui
installent le luxueux campements avant l'arrivée de la caravane,
aménagent les sites ou sont pris les repas. « une grande tente
salle à manger est montée chaque midi ». Les chefs des tribus
traversées accueillent les hôtes du Sultan avec des fantasias,
offrent la mouna, offrande sous forme de repas pantagruéliques et
raffinés et de bêtes égorgées par dizaines . « chaque soir
les tributs amènent aux représentants du sultan, la dîme, la
rançon que notre qualité d'ambassade nous donne le droit de
prélever » « amphores pleines de lait de brebis, de
beurre, paniers d’œufs, cages rondes en roseaux remplies de
poulets attachés par les pattes, quatre mules chargées de pains de
citrons, d'oranges et enfin douze moutons tenus par les cornes »
Les solliciteurs accompagnent leurs requêtes au Sultan de sacrifices
de bœufs.
Loti
se réjouit de sa situation privilégiée et méprise le peuple et
les petites gens« Pour garder nos innombrables bagages, nos
gens ont couché dans la rue, effondrés dans leurs burnous »
« une centaine de mules entêtées et de chameaux stupides »
Il oppose les couleurs ternes du peuple à celles chatoyantes de
l'escorte. « la masse des paysans ou des pauvres en burnous
gris, en sayons de laine brune…c'est un immense fouillis d'une même
nuance terne et neutre » « le coloris oriental des
cavaliers de notre suite, les cafetans roses, les cafetans oranges,
les cafetans jaunes, les selles de drap rouge et les selles de
velours »
Il
ironise sur un de ses collègues écrivain« Huysman » qui
subit la promiscuité de voyages en sleeping » et n'hésite pas
à conclure sa journée par de petits fantasmes orientalistes sur les
femmes« Je me rendors en rêvant de cette cour de Fez, ou
habitent derrière des murs et sous des voiles, tant de mystérieuses
belles… » et pour faire bonne mesure…un fantasme sur les
hommes « Les beaux bras nus des cavaliers, fauves comme du
bronze sortent des manches larges relevées jusqu'aux épaules »
Malgré
deux mariages et une période de sa vie ou il entretenait deux
ménages simultanément (quel homme!) l'homosexualité de Pierre Loti
ne semble plus faire de doute.
Loti
est ébloui par tant de privilèges. Grand bien lui fasse. Il serait
pardonnable au simple motif qu'il est éclaboussé par la gloire des
puissants, s'il ne méprisait pas les pauvres, les serviteurs, le
peuple, le pays même « un pays inculte à peu près laissé à
l'état primitif »
Mépris pour
les hommes
Pauvres
ou riches, faibles ou puissants, tous les marocains sont à la même
enseigne.
La
bastonnade ou la torture infligés aux serviteurs ou au voleurs
n'indignent en rien notre militaire écrivain. Comment relate t-il la
traversée d'un marché ?« Nous n'avançons plus que
difficilement et nos arabes d'escorte, à coup de lanières, à coup
de bâtons et de crosses de fusils, écartent à grand peine cette
plèbe, qui s'ouvre sur notre passage en hurlant. » Après une
difficile journée de pluie pendant laquelle les bêtes de somme sont
fréquemment tombées dans la boue il relate que « séance
tenante on donne la bastonnade aux muletiers pour avoir mal conduits
leurs bêtes. » Il justifie le supplice du sel que l'on inflige
aux voleurs, qui consiste à leur taillader la pomme des mains, de la
remplir de sel, de l'attacher solidement refermée et de laisser le
supplicié lentement mourir de douleur. « Le Maroc est encore
au moyen age et à cette époque nous avions des supplices qui
n'avaient rien à envier à celui-ci et on ne peut en vouloir à un
peuple qui a introduit dans son code quelque chose qui donne un peu à
réfléchir aux pirates des montagnes »
Les
chefs de tributs sont « des détrousseurs, la délégation est
sous leur protection d'accord, mais ce sont quand même des
bandits. »
Le
Sultan de Fez lui même n'échappe pas au mépris « Il apparut
comme une haute momie blanche à figure brune, toute voilée de
mousseline…étrange cavalier presque informe...il approche et voici
enfin près de nous, ce fils authentique de Mahomet bâtardé de sang
nubien. »
Les
jeunes nobles, les futurs vizirs sont « étiolés, pâles,
mornes et affaissés sur leurs coussins » le fils du vizir est
« le plus affaissé, l'air absolument abêti, excédé d'ennui
et de lassitude »
Mépris
pour les lieux
La
ville de Fez est décrite de manière fort peu flatteuse «
murs décrépis, en ruine, ruelles étroites, jonchées de détritus
dans la boue, maisons imbriquées, délabrées, sombres et sales,
sans confort » Pierre Loti va jusqu'à s'excuser de l'emploi
excessif du mot vieux quand il parle de Fez.
« Au
delà, l'obscurité des campagnes sauvages qui sont plus
inhospitalières encore que les villes, qui sont sans routes pour
fuir et ou habitent des tributs qui coupent les têtes. »
Condescendance
Dès
le début ce sa mission il voit Tanger comme une porte dans l'espace
et dans le temps « J'ai le sentiment d'un recul subit à
travers les temps antérieurs » , le Maroc est un grand pays
primitif.
« A
quoi bon une ambassade avec un tel souverain, qui reste comme son
peuple immobilisé dans les vieux rêves humains presque disparus de
la terre. Nous sommes absolument incapables de nous entendre »
« Avec
ce peuple rien n'aboutit… Les vizirs temporisent, ce qui est la
grande force de la diplomatie musulmane »
Racisme
A
l'entrée de la ville de Fez l'accueil est assurée par une haie de
fantassins noirs. « l'infanterie est recrutée on ne sait
comment, nègres pour la plupart et ridicules sous ce costume de
zouave, regardés de près, ils donnent l'impression d'une armée de
singes… tout cela est en plein moyen age. » redit un peu plus
loin « des soldats nègres, habillés de rouge, de toute la
pitoyable armée de singe »
Antisémitisme
Pierre
Loti qui s'est affranchi de la délégation pour vivre seul dans la
maison « sombre et délabrée » d'un amis va dans la
« sordide ville des juifs » pour acheter des objets
anciens et des bijoux. Il raconte :
« A
l'entrée de la ville le dépôt général des bêtes mortes… qui
pourrissent au soleil rependant une odeur sans nom »
« l'accueil est assuré par deux ou trois personnages… qui me
dévisagent avec des yeux roués et cupides, flairant déjà quelques
affaires à conclure, des figures chafouines longues, étroites,
blanchâtres, des nez minces qui n'en finissent plus et des cheveux
longs et rares, en tire bouchon, épars, crassissants des robes
noires qui collent aux épaules pointues. » Sans commentaires,
il apparaît difficile de mettre plus de poncifs dans une seule
phrase.
Complétons
« J'ai le regret d'aller m'enfouir dans ces bouges de
moisissures, chez des êtres si laids, une veille de départ. »
Femmes
fantasmées
Marchandises :Lors
d'une visite au marché aux esclaves il examine une jeune fille en
vente « Nous la fîmes lever, pour la voir, comme c'est l'usage
pour toute marchandise. C'était une petite fille de seize à dix
huit ans, dont les yeux pleins de larmes exprimaient un désespoir
résigné mais sans borne. Oh la pitié qu'elle nous fit !»
Quel cynisme dans ce raccourci indécent. La pitié est sans doute
réelle mais pas au point de renier l'esclavage.
Superbes
mais inaccessibles :Les terrasses sur les toits des maisons sont
le domaine des femmes. Pierre Loti se plaît à les observer en
cachette avec une curiosité pleine de sous-entendus coquins. Il est
fasciné par ces femmes achetées « L'une d'elle appartient à
un de mes voisins » une nouvelle « recrue » « quel
est le riche voisin qui a acheté cette jeunesse ardente et ses reins
superbes. » Le fait que ces femmes superbes ne soit que
possession pour certains et lui soient interdites accroît son
trouble.
Le
Maroc était durant le 19ème siècle au cœur de représentations
orientalistes. De nombreux peintres dont les plus connus sont
Delacroix puis Matisse sont dans cette veine. Le récit de voyage
(mission) de Pierre Loti oscille entre fantasmes et poncifs. Dans sa
préface il confesse « une sorte d'atavisme relatif à tout ce
qui touche au monde arabe » et déclare « je me suis
toujours senti l'âme à moitié arabe » étonnantes
déclarations venant d'un écrivain qui a écri toutes les horreurs
que vous venez de lire.
Pierre
Loti fait parti de ces écrivains parfaitement à l'aise dans leur
siècle dont ils épousent les manières de penser. Sa bonne
conscience est sans faille. A ce titre il n’appartient à personne
de porter un jugement de valeur sur l'homme. Pourtant à l'évidence
le Pierre Loti de « Au Maroc » n'est plus lisible
aujourd'hui. Seule son époque étroite et bornée a pu le couvrir de
gloire. Il a manqué à Pierre loti la modestie, le recul, l'humanité
et le génie nécessaire pour s'élever au dessus de son époque et
prétendre à l'immortalité, pas seulement celle, illusoire de
l'académie Française.
A quoi peut-on juger qu'une œuvre résiste à l'épreuve du temps ? C'est, bien entendu, d'abord, une question de qualité littéraire , mais c'est surtout une question de valeurs et de préjugés. Les écrivains dont le nom a résisté à l'oubli ont généralement une grande et belle écriture. C'est le cas de Pierre Loti « Au Maroc » est superbement écrit, une écriture qui magnifie la beauté des paysages sauvages et incroyablement fleuris du Maroc au printemps. Je connais et j'adore le Maroc à cette saison ou la nature se tapisse de fleurs milticolores et ou les cigognes se regoupent avant de regagner l'Europe, Pierre Loti lui rend presque justice, je dis « presque » car il bascule sans transition d'une vision de jardin d'éden à la vision d'un Pays désolé couvert de friches et de ruines, sans routes ni ponts. L'auteur oscille entre attraction et répulsion. Les changements de registre de vocabulaire traduisent son ambiguité. Il voudrait faire penser qu'il aime mais le naturel de sa gène revient au galop. La pluie omniprésente renforce l' atmosphère dominante d'abandon et de sauvagerie.
Dès le début ce sa mission il voit Tanger comme une porte dans l'espace et dans le temps « J'ai le sentiment d'un recul subit à travers les temps antérieurs » , le Maroc est un grand pays primitif.