mercredi 22 octobre 2014

Walden ou la vie dans les bois, Henri David Thoreau






Henry David Thoreau, est est né le 12 juillet 1817 à Concord (Massachusetts), où il est mort le 6 mai 1862.
Walden ou la vie dans les bois,  a été publiée en 1854









Walden est une œuvre multiforme. Le séjour de deux ans effectué par Thoreau entre juillet 1845 et septembre 1847 dans une cabane, bâtie de ses mains, au bord du lac de Walden près de Concord, sa ville natale, dans le Massachusetts lui inspire cet ouvrage. Walden ou la vie dans bois se veut récit, à la fois imagé, savant et poétique, mais aussi réflexion sur le sens de la vie. Thoreau fait preuve d'une incontesable culture naturaliste, déjà inspirée par Darwin, qu'il a lu, mais il n'hésite pas à s'aventurer dans l'analyse économiquela Philosophie et même quelques considérations politiques, bien qu'il les réserve à un autre de ses ouvrages célèbres « la désobéissance civile » (1847) qui trouve également sa source à Walden, puisque pendant son séjour il fut brièvement emprisonné pour n'avoir pas payé ses impôts.

La conception du sens de la vie que développe Henri David Thoreau dans Walden en fera le précurseur de plusieurs courants de pensées. Il sera considéré comme une référence et même une sorte de prophète par de nombreux écrivains parmi lesquels : Tolstoï, Hemingway, Henry Miller, Rick Bass, Jim Harrison, mais aussi des personnalités de la vie civile ayant pour certains une place dans l'histoire, tels Gandhi, Lanza del Vasto lors des événements du Larzac dans les années 1970, et plus près de nous José Bové qui a effectué le pèlerinage à Walden et s'est fait photographier devant une reconstitution de la cabane. Au delà de ces reconnaissances individuelles, l'héritage de Thoreau s'est manifesté dans l'histoire récente par des mouvements sociaux. On peut citer les communautés Hippies des années 1970 à 1980, les retours à la terre qui ont suivi en France les événements de mai 1968. Aujourd'hui encore, les théories et les mouvements de la décroissance et le concept de sobriété heureuse, autour de Pierre Rabhi sont largement inspirés par Henri David Thoreau.

La Question peut-on encore lire Thoreau est peut être plus une question politique que littéraire.

Un prophète ne peut être déboulonné. La question est cependant prophète pour qui ? On ne peut pas dire que Thoreau à infléchi le moins du monde la destinée de son pays les Etats Unis, ni de celle du monde, y compris avec ses avatars communistes, qui ont tous définitivement choisi la voie du développement et de la consommation à outrance et qui ne sont pas prêts à changer de modèle. Thoreau a toujours inspiré une minorité convaincue que le système capitaliste et toutes autres société basées sur la consommation mènent l'humanité à sa perte et qu'il est temps, toujours temps, encore temps de se reprendre en main et de changer radicalement de mode de vie. Je ne peux pas ignorer que la grande majorité de nos concitoyen est prête à applaudir Stevenson qui considérait Thoreau comme « un snob, efféminé, misanthrope et excentrique » .

Sur le plan littéraire la question se pose aussi, mais là encore je serai nuancé. Quitte à choquer certains professeurs de littérature, je dirais que pour trouver des pépites d'écriture, il faut remuer beaucoup de pages indigestes. L'écriture de Walden me fait penser à un ressort. Le point A et le point B sont proches, mais il faut pour les relier parcourir des kilomètres de spirales. L'art de faire long quand il serait possible d'être plus succinct. Cette manière d'écrire est aujourd'hui totalement obsolète. Cette remarque sur l'écriture s'applique particulièrement aux chapitres « prophétiques », les passages donneurs de leçons… Par contre le Thoreau naturalistes est aussi poète. Des pages magnifiques sont consacrées aux paysages, à la flore, à la faune, aux saisons, au temps qu'il fait, au temps qui passe, à la pêche.

Naturaliste et Poète 

Avant même d'aborder le récit de son séjour, dans le chapitre intitulé « bruits » Thoreau pose toute une série d'observations naturalistes très précises sur les plantes les oiseaux et tout ce qui peuple son territoire. Dans ma cour de devant poussaient la fraise, la mure et l'immortelle, l'herbe e la Saint jean et la verge d'or, les chênes arbrisseaux et le cerisier nain, l'airelle et la noix de terre, vers la fin de mai le cerisier nain adornait les côtes du sentier de ses fleurs délicates disposées en ombrelles cylindriquement autour de ses courtes tiges….Un vison se glisse hors du marais et saisit une grenouille près de la rive...« Les étangs » est un long chapitre qui nous fait découvrir les paysages sauvages, les lacs et les poissons de Walden. « Premiers habitants et visiteurs d'hiver » est un chapitre à la mémoire de ceux qui ont peuplé walden au cours des siècles : ruines de cabanes, traces d'un puits, pointes de flèche, terre calcinée et quelques légendes restées dans les mémoires. « Animaux d'hivers » nous amène à la rencontre d'un vol d'oies, d'un grand duc, des renards, d'écureuils rouges, des lapins, d'un pichpin, des vols de mésanges et de pinsons, tout un défilé à la fois précis et poétique dont Thoreau observe les habitudes. Le naturaliste n'est jamais loin derrière le poète. « Les étangs en hiver » nous donne à voir des scènes de pêche hivernales. On y découvre également un Thoreau géographe qui établit une carte de son étang. « Le printemps » Dernier chapitre du livre le printemps était le but ultime du séjour à Walden. Un des attraits de ma venue dans les bois pour y vivre était d'y trouver occasion et loisir de voir le printemps arriver. Eveil de la faune et de la flore, fonte de la glace et de la neige.

Économiste

Il est assez perceptible que Walden fut écrit par petits bout et que les morceaux ont été mis dans l'ordre à posteriori. Ainsi c'est le Thoreau économiste qui ouvre l'ouvrage par un long chapitre dans lequel il n'hésite pas à introduire des chiffres et une comptabilité. Ce chapitre serait une reprise d'une des conférences que donnait Thoreau à Concord. La thèse générale est que l'homme a des besoins limités. Est libre celui qui se contente de peux est aliéné celui qui veut se procurer du superflu.

Les nécessités de la vie pour l'homme, peuvent assez exactement se répartir exactement sous les différentes rubriques de vivre, couvert, vêtement et combustible.

Le luxe en général et beaucoup du soit-disant bien être, non seulement ne sont pas indispensables mais sont un obstacle positif à l'ascension de l'espèce humaine.

-L'agriculteur est esclave à vie de sa terre, de ses bâtiments, de sa maison, de son bétail. Les paysans de Concord ont peiné vingt, trente ou quarante année de leur vie pour devenir propriétaires de leur ferme

-Le commerçant est toujours sur le qui vive, vigilant...les yeux partout, devant tout controler.

-Le vêtement, la modes est futile: peut-être sommes nous guidés plus souvent par l'amour de la nouveauté et certain soucis de l'opinion des hommes que par une véritable utilité.

-La maison : Dans les villes les pauvres paient pour se loger un tribu annuel qui suffirait à l'achat d'un village de wigwams indiens et qui contribue au maintien de sa pauvreté sa vie durant….Il se peut que ce soit la maison qui le possède...Bien souvent nous y sommes en prison, plutôt qu'en un logis.

Voici les hommes devenus les outils de leurs outils. C'est donc bien d'aliénation que nous parlons.

Henri David Thoreau nous présente donc son installation à Walden comme répondant à des nécessités économiques combinées à une aspiration à revenir aux vraies valeurs en bannissant le superflu, le futile et le contraignant.

C'est, chiffres à l'appui et à la manière d'un comptable que Thoreau nous présente la prise de possession de son terrain, la construction de sa cabane avec des arbres prélevés sur le terrain et des matériaux récupérés et la mise en culture d'un potager.

En plein milieu du dix neuvième siècle, à contre courant d'une Amérique entreprenante et conquérante alors que les ressources de la planètes étaient à peine entamées et qu'aucun problème environnementaux ne se posaient, Thoreau a eu l'intuition d'expérimenter la sobriété dans tous les domaines de la vie. Ces motivations alors étaient simplement humaines dépourvues de toutes considérations environnementales et c'est sans doute ce qui les a rendu universelles. Il n'est pas facile de prêcher la pauvreté dans un monde riche. Je crains que même au bord du gouffre, l'homme moderne, hormis quelques éclaireurs ait aussi du mal à s'y résoudre.

Végétarien

La question du végétarisme est abordée à deux reprises dans le livre. Un chapitre intitulé « Considérations plus hautes » lui est consacré. En effet l'évolution vers le régime végétarien est pour Thoreau indissociable d'un progrès de l'homme et de la civilisation. Pour lui le végétarien (il n'emploie pas le terme) est en quelque sorte l'homme humanisé, celui qui a su se défaire de ses instincts sauvages de pêcheur, chasseur, viandart. Le gros mangeur est l'homme à l'état de larve.

Pour le coup Thoreau s'autoproclame prophète. Je ne doute pas que la race humaine, en son grand développement, n'ait entre autres destinées, celle de renoncer à manger des animaux, aussi sûrement que les tribus sauvages ont renoncé à s'entre manger dès qu'elles sont entrées en contact avec de plus civilisées.

Avec de tels propos il n'est pas étonnant que Thoreau soit devenu la figure emblématiques des végétariens. La plupart n'iront cependant pas jusqu'à renoncer au vin, au café et au thé comme le préconise leur illustre mentor. La pratique de la sobriété est un idéal de pureté qui éloigne l'homme de sa nature animale. Ici encore l'humanisme est au centre de la quête. Le végétarisme n'est cependant que le point de départ d'une recherche de la chasteté et de la chasse au plaisir dans les domaines du manger, boire, dormir, coïter. En intitulant ce chapitre « Considérations plus haute » alors que d'autres s'intitulent  plus prosaïquement « la ferme Baker »,« pendaison de crémaillère », « animaux d'hiver » Thoreau signifie que l'on va y trouver la quintessence de sa pensée. Pour ma part je le trouve inquiétant, les considérations sont trop haute, la quête de l'ascétisme ne peut concerner que quelques individus; en aucun cas toute une société. Nous sommes ici bien près de considérations bouddhistes...la joie en moins.

Solitaire

A un chapitre intitulé « solitude » succède « visiteurs » puis « le village », c'est dire si la position de Thoreau peut paraître ambiguë, voire contradictoire. Il fait un double constat, à Walden il est seul et il aime être seul. Il constate qu'il vit loin de la société, que peu d'hommes approchent sa cabane, mais que la solitude ne lui pèse pas. Je ne me suis jamais senti solitaire ou tout au moins oppressé par un sentiment de solitude sauf une fois…, lorsque, l'espace d'une heure, je me demandais si le proche voisinage de l'homme n'était pas essentiel à une vie sereine et saine. Il explore de manière approfondie son penchant pour la solitude, se demande s'il n'est pas contre nature et cite même Confucius. Il faut de toute nécessité des voisins. Thoreau Misanthrope oui mais pas militant, un simple constat sur son penchant à la solitude dont il ne tire aucune fierté.
Il insiste même sur le fait qu'il n'est pas un ermite. Il serait capable de sortir après le plus résolu client de bar. Il affirme même avoir eu jusqu'à vingt cinq ou trente âmes, avec leur corps, en même temps sous son toit. Et constate j'eu plus de visiteurs pendant que j'habitais dans les bois qu'en nulle autre période de mon existence. 

Un chapitre complet est consacré à ses visites au village, qui nous donne à voir un Henri David Thoreau sociable mais pas au point de se sentir partie prenante de la société. Tout au plus il l'observe comme il le fait pour la nature et les mœurs des animaux. Au lieu du vert parmi les pins, j'entends le roulement des charrettes.

C'est dans ce chapitre qu'est abordé de manière très brève une anecdote qui sera à l'origine d'un autre ouvrage « La désobéissance civile »  qui sera à la source d'un autre aspect du mythe Thoreau. Un après midi… je fus appréhendé et mis en prison, parce que je n'avais pas payé d’impôts ou reconnu l'autorité de l’État. Une seule nuit qui donnera une importance politique à Thoreau.

Méditatif

Dès le deuxième chapitre l'expression bascule de la rigueur économique au ressenti. Le choix de Walden est affaire de ressenti et de cœur plutôt que d'économie. L'écriture se fait poétique. Thoreau, comme ses contemporains utilise largement les références aux mythologies grecques et nordiques. Il n'est cependant pas complètement ignorant des pensées orientales et cite un calligramme chinois. Renouvelle toi complètement chaque jour, et encore, et encore, et encore, à jamais.

Du temps de Thoreau, les pratiques et la pensée Bouddhiques n'avaient pas connu la diffusion qu'elles connaissent aujourd'hui. On peut donc considérer, qu'il a en quelque sorte ré-inventé la pratique méditative. Les mots employés dans Walden sont très proches des terminologies modernes dans les ouvrages qui traitent de méditation.

Le matin qui est le plus notable moment du jour est l'heure du réveil...et pendant une heure au moins, se tient éveillée quelque partie de nous même...tout homme a pour tâche de rendre sa vie, jusqu'en ses détails, digne de la contemplation de son heure la plus élevée et la plus sévère.

Il y eu des heures ou je ne me sentis pas en droit de sacrifier la fleur du moment présent à nul travail, soit de tête, soit de main.

Quelquefois par un matin d'été...je restais assis sur mon seuil ensoleillé du lever du soleil à midi, au sein d'une solitude et d'une paix que rien ne troublait….ce n'était point un temps soustrait à ma vie, mais tellement en sus de ma vie. Je me rendais compte de ce que les orientaux entendent par contemplation et le délaissement des travaux.

L'engouement actuel pour les pratiques méditatives et le développement personnel suscite l'éclosion d'une abondante littérature spécialisée. John Kabat Zinn, Professeur de médecine et créateur de la clinique de réduction du stress et du centre pour la pleine conscience en médecine de l'Université médicale de Massachusetts multiplie les références à Thoreau et à Walden dans ses différents ouvrages sur la méditation. Henri David Thoreau apparaît dans ce domaine aussi comme un précurseur.

Amateur des chemins de fer

Je ne pouvais pas achever cette note sans évoquer le chemin de fer qui touche l'étang à environ cent verges de là ou j'habite.

La Construction du chemin de fer qui est traitée dans le chapitre économique fait l'objet d'une critique virulente : inutile, mangeur de vies humaines, source d'inégalité d'esclavage et de misère.

Pourtant,en tant que voisin de la cabane le chemin de fer est l'objet de toutes les bienveillances. Il fait partie du paysage, il prend une place harmonieuse dans la vie quotidienne, le sifflet de la locomotive fait effet d'horloge publique, il est annonciateur de bonnes nouvelles, même les odeurs qui se dégagent des wagons procurent du plaisir. Il détaille les odeurs de bois, de laine, de poisson séché, de balles de chiffon. En plus, le train il le trouve beau, avec son nuage de vapeur, bannière flottant à l'arrière en festons d'or et d'argent, tels maints nuages duveteux que j'ai vu haut et dans les cieux déployer ses masses à la lumière.

Certains ont rattaché Henri David Thoreau au courant transcendantaliste. Le long éloge du chemin de fer montre plutôt qu'il ne considère pas seulement l'environnement naturel, mais l'environnement dans son ensemble. Le train, bruyant, polluant, porteur d'odeurs qui sont celles de la vie et du commerce est intégré et accepté dans le quotidien de Walden. Thoreau a recherché un relatif isolement dans la nature, mais il accepte le voisinage d'une voie ferrée. En quelque sorte il l'intègre dans sa méditation, dans sa jouissance du moment présent, et, là encore il se rapproche des Bouddhistes.

On aurait tort de ne considérer que le côté nature de l'expérience Walden. Il se réjouit autant de la sérénade du grand duc que du sifflement d'une locomotive et du grondement des wagons et déplore de ne point entendre le bruit du cocorico.

Philosophe

Walden est une expérience humaine qui s'appuie sur la réalité brute, celle de la satisfaction des besoins élémentaires à travers une série de choix de vie. Ou et comment habiter ? Avec quoi et comment se vêtir ? Pourquoi et comment produire ses aliments ? Jardin, Pêche, achats. Que manger ? En quelle quantité ? Comment trouver un équilibre entre solitude et vie en société ?

C'est parce que ces questions sont universelles que les réponses apportées sont en rupture avec les conceptions de la vie en vigueur à son époque que Thoreau sera considéré comme un visionnaire et un précurseur. En faisant le choix de la sobriété il ne veut pas répondre à un quelconque manque de ressources, ni protéger la planète du saccage. Ces thématiques, qui nous sont malheureusement devenues familières, n'avaient aucune raison d'avoir cours à son époque. Seule l'humanité est en jeu. La sobriété est le moyen de sortir l'homme des séquelles de barbaries qui caractérisaient l'état sauvage initial. C'est les progrès de l'homme que recherche Thoreau vers plus de civilisation, plus de sagesse, moins de travail et de soumission, plus de temps pour profiter de la nature et de l'instant présent, plus de présence au monde. La sobriété c'est le remède à l'avidité et à la futilité. Walden nous propose un détour par la réalité pour trouver l'homme idéal, celui qui se détache des besoins superflus du corps pour atteindre la sagesse.

Lire Thoreau aujourd'hui à la lumière des problèmes écologiques, de l'épuisement des ressources, de la montée des barbaries est selon moi une erreur. C'est à l'essence de l'homme que Thoreau s'adresse. Il veut un homme meilleur plus sage et plus civilisé dans l'absolu. Il ne cherche pas à résoudre les problèmes de la planète. C'est donc à chacun de nous, en quête de sagesse, qu'il s'adresse. Acceptons l'héritage en le lisant ou sans le lire.