Henry David Thoreau, est est né le 12 juillet 1817 à Concord (Massachusetts), où il est mort le 6 mai 1862.
Walden ou la vie dans les bois, a été publiée en 1854,
Walden
est une œuvre multiforme. Le séjour de deux ans effectué par
Thoreau entre juillet 1845 et septembre 1847 dans une cabane, bâtie
de ses mains, au bord du lac de Walden près de Concord, sa ville
natale, dans le
Massachusetts
lui inspire cet ouvrage. Walden ou la vie dans bois se veut récit, à la fois imagé, savant
et poétique, mais aussi réflexion sur le sens de la vie. Thoreau fait
preuve d'une incontesable culture naturaliste, déjà inspirée par
Darwin, qu'il a lu, mais il n'hésite pas à s'aventurer dans
l'analyse économique, la Philosophie et même quelques considérations politiques, bien qu'il
les réserve à un autre de ses ouvrages célèbres « la
désobéissance civile » (1847) qui
trouve également sa source à Walden, puisque pendant son séjour il
fut brièvement emprisonné pour n'avoir pas payé ses impôts.
La
conception du sens de la vie que développe Henri
David Thoreau dans
Walden en fera le précurseur de plusieurs courants de pensées. Il
sera considéré comme une référence et même une sorte de
prophète par de nombreux écrivains parmi lesquels : Tolstoï,
Hemingway, Henry Miller, Rick Bass, Jim Harrison, mais aussi des
personnalités de la vie civile ayant pour certains une place dans
l'histoire, tels Gandhi, Lanza del Vasto lors des événements
du Larzac dans les années 1970, et plus près de nous José Bové
qui a effectué le pèlerinage
à Walden et s'est fait photographier devant une reconstitution de la
cabane. Au
delà de ces reconnaissances individuelles, l'héritage de Thoreau
s'est manifesté dans l'histoire récente par des mouvements sociaux. On peut citer les communautés Hippies des années 1970 à 1980, les
retours à la terre qui ont suivi en France les événements de mai
1968. Aujourd'hui encore, les théories et les mouvements de la
décroissance et
le concept de sobriété heureuse,
autour de Pierre
Rabhi sont largement inspirés par Henri
David Thoreau.
La
Question peut-on encore lire Thoreau est peut être plus une question
politique que littéraire.
Un prophète ne peut être déboulonné. La question
est cependant prophète pour qui ? On ne peut pas dire que
Thoreau à infléchi le moins du monde la destinée de son pays les
Etats Unis, ni de celle du monde, y compris avec ses avatars
communistes, qui ont tous définitivement
choisi
la voie du développement et de la consommation à outrance et qui ne
sont pas prêts à changer de modèle. Thoreau a toujours inspiré
une minorité convaincue que le système capitaliste et toutes autres société basées sur la consommation mènent l'humanité à sa perte et qu'il est temps, toujours
temps, encore temps de se reprendre en main et de changer
radicalement de mode de vie. Je ne peux pas ignorer
que la grande majorité de nos concitoyen est prête à applaudir
Stevenson
qui considérait Thoreau comme « un snob, efféminé,
misanthrope et excentrique » .
Sur
le plan littéraire la question se pose aussi, mais là encore je serai
nuancé. Quitte à choquer certains professeurs de littérature, je
dirais que pour trouver des pépites d'écriture, il faut remuer
beaucoup de pages indigestes. L'écriture de Walden me fait penser à
un ressort. Le point A et le point B sont proches, mais il faut pour
les relier parcourir des kilomètres de spirales. L'art de faire long
quand il
serait possible d'être plus succinct. Cette manière d'écrire est
aujourd'hui totalement obsolète. Cette remarque sur l'écriture
s'applique particulièrement aux chapitres « prophétiques »,
les passages donneurs de leçons… Par contre le Thoreau
naturalistes est aussi poète. Des pages magnifiques sont consacrées
aux paysages, à la flore, à la faune, aux saisons, au temps qu'il
fait, au temps qui passe, à la pêche.
Naturaliste
et Poète
Avant
même d'aborder le récit de son séjour, dans le chapitre intitulé
« bruits » Thoreau pose toute une série d'observations
naturalistes très précises sur les plantes les oiseaux et tout ce
qui peuple son territoire. Dans
ma cour de devant poussaient la fraise, la mure et l'immortelle,
l'herbe e la Saint jean et la verge d'or, les chênes arbrisseaux et
le cerisier nain, l'airelle et la noix de terre, vers
la fin de mai le cerisier nain adornait les côtes du sentier de ses
fleurs délicates disposées
en ombrelles cylindriquement autour de ses courtes tiges….Un vison
se glisse hors du marais et saisit une grenouille près de la
rive...« Les
étangs » est un long chapitre qui nous fait découvrir les
paysages sauvages, les lacs et les poissons de Walden. « Premiers
habitants et visiteurs d'hiver » est un chapitre à la mémoire
de ceux qui ont peuplé walden au cours des siècles : ruines de
cabanes, traces d'un puits, pointes de flèche, terre calcinée et
quelques légendes restées dans les mémoires. « Animaux
d'hivers » nous amène à la rencontre d'un vol d'oies, d'un
grand duc, des renards, d'écureuils rouges, des lapins, d'un
pichpin, des vols de mésanges et de pinsons, tout un défilé à la
fois précis et poétique
dont Thoreau observe les habitudes. Le naturaliste n'est jamais loin
derrière le poète. « Les étangs en hiver » nous donne
à voir des scènes de pêche hivernales. On
y découvre également un Thoreau géographe qui établit une carte
de son étang. « Le printemps » Dernier chapitre du livre
le printemps était le but ultime du séjour à Walden. Un
des attraits de ma venue dans les bois pour y vivre était d'y
trouver occasion et loisir de voir le printemps arriver.
Eveil de la faune et de la flore, fonte de la glace et de la neige.
Économiste
Il
est assez perceptible que Walden fut écrit par petits bout et que
les morceaux ont été mis dans l'ordre à posteriori. Ainsi c'est
le Thoreau économiste qui ouvre l'ouvrage par un long chapitre dans
lequel il n'hésite pas à introduire des chiffres et une
comptabilité. Ce chapitre serait une reprise d'une des conférences
que donnait Thoreau à Concord. La
thèse générale est que l'homme a des besoins limités. Est libre
celui qui se contente de peux est aliéné celui qui veut se procurer
du superflu.
Les nécessités de la vie pour l'homme, peuvent assez exactement
se répartir exactement sous les différentes rubriques de vivre,
couvert, vêtement et combustible.
Le luxe en général et beaucoup du soit-disant bien être, non
seulement ne sont pas indispensables mais sont un obstacle positif à
l'ascension de l'espèce humaine.
-L'agriculteur est esclave à vie de sa terre, de ses bâtiments, de
sa maison, de son bétail. Les paysans de Concord ont peiné
vingt, trente ou quarante année de leur vie pour devenir
propriétaires de leur ferme
-Le commerçant est toujours sur le qui vive, vigilant...les yeux
partout, devant tout controler.
-Le vêtement, la modes est futile: peut-être sommes nous
guidés plus souvent par l'amour de la nouveauté et certain soucis
de l'opinion des hommes que par une véritable utilité.
-La maison : Dans les villes les pauvres paient pour se loger un
tribu annuel qui suffirait à l'achat d'un village de wigwams indiens
et qui contribue au maintien de sa pauvreté sa vie durant….Il
se peut que ce soit la maison qui le possède...Bien souvent nous y
sommes en prison, plutôt qu'en un logis.
Voici les hommes devenus les outils de leurs outils. C'est
donc bien d'aliénation que nous parlons.
Henri David Thoreau nous
présente donc son installation à Walden comme répondant à des
nécessités économiques combinées à une aspiration à revenir aux
vraies valeurs en bannissant le superflu, le futile et le
contraignant.
C'est, chiffres à l'appui et à la
manière d'un comptable que Thoreau nous présente la prise de
possession de son terrain, la construction de sa cabane avec des
arbres prélevés sur le terrain et des matériaux récupérés et la
mise en culture d'un potager.
En plein milieu du dix neuvième
siècle, à contre courant d'une Amérique entreprenante et
conquérante alors que les ressources de la planètes étaient à
peine entamées et qu'aucun problème environnementaux ne se
posaient, Thoreau a eu l'intuition d'expérimenter la sobriété dans
tous les domaines de la vie. Ces motivations alors étaient
simplement humaines dépourvues
de toutes considérations environnementales et c'est sans doute ce
qui les a rendu universelles.
Il n'est pas facile de
prêcher la pauvreté dans un monde riche. Je crains que même au
bord du gouffre, l'homme moderne, hormis quelques éclaireurs ait
aussi du mal à s'y résoudre.
Végétarien
La question du végétarisme est
abordée à deux reprises dans le livre. Un chapitre intitulé
« Considérations plus hautes » lui est consacré. En
effet l'évolution vers le régime végétarien est pour Thoreau
indissociable d'un progrès de l'homme et de la civilisation. Pour
lui le végétarien (il n'emploie pas le terme) est en quelque sorte
l'homme humanisé, celui qui a su se défaire de ses instincts
sauvages de pêcheur, chasseur, viandart. Le gros mangeur
est l'homme à l'état de larve.
Pour le coup Thoreau s'autoproclame prophète. Je ne doute pas que
la race humaine, en son grand développement, n'ait entre autres
destinées, celle de renoncer à manger des animaux, aussi sûrement
que les tribus sauvages ont renoncé à s'entre manger dès qu'elles
sont entrées en contact avec de plus civilisées.
Avec de tels propos il n'est pas étonnant que Thoreau soit devenu la
figure emblématiques des végétariens. La plupart n'iront cependant
pas jusqu'à renoncer au vin, au café et au thé comme le préconise
leur illustre mentor. La pratique de la sobriété est un idéal de
pureté qui éloigne l'homme de sa nature animale. Ici encore
l'humanisme est au centre de la quête. Le végétarisme n'est
cependant que le point de départ d'une recherche de
la chasteté et de la chasse au plaisir dans les domaines du manger,
boire, dormir, coïter. En intitulant ce chapitre « Considérations
plus haute » alors que d'autres s'intitulent plus prosaïquement « la ferme
Baker »,« pendaison de crémaillère », « animaux
d'hiver » Thoreau signifie que l'on va y trouver la quintessence de sa pensée. Pour ma part je le trouve inquiétant,
les considérations sont trop haute, la quête de l'ascétisme ne
peut concerner que quelques individus; en aucun cas toute une société.
Nous sommes ici bien près de considérations bouddhistes...la joie en
moins.
Solitaire
A un chapitre intitulé « solitude » succède
« visiteurs » puis « le village », c'est dire
si la position de Thoreau peut paraître ambiguë, voire
contradictoire. Il fait un double constat, à Walden il est seul et
il aime être seul. Il constate qu'il vit loin de la société, que
peu d'hommes approchent sa cabane, mais que la solitude ne lui pèse
pas. Je ne me suis jamais senti solitaire ou tout au moins
oppressé par un sentiment de solitude sauf une fois…, lorsque,
l'espace d'une heure, je me demandais si le proche voisinage de
l'homme n'était pas essentiel à une vie sereine et saine. Il
explore de manière approfondie son penchant pour la solitude, se
demande s'il n'est pas contre nature et cite même Confucius. Il
faut de toute nécessité des voisins. Thoreau Misanthrope oui
mais pas militant, un simple constat sur son penchant à la solitude
dont il ne tire aucune fierté.
Il insiste même sur le fait qu'il n'est pas un ermite. Il serait
capable de sortir après le plus résolu client de bar. Il
affirme même avoir eu jusqu'à vingt cinq ou trente âmes, avec
leur corps, en même temps sous son toit. Et constate
j'eu plus de visiteurs pendant que j'habitais dans les bois qu'en nulle
autre période de mon existence.
Un chapitre complet est consacré à ses visites au village, qui nous
donne à voir un Henri David Thoreau sociable mais pas au point de se
sentir partie prenante de la société. Tout au plus il l'observe
comme il le fait pour la nature et les mœurs des animaux. Au lieu
du vert parmi les pins, j'entends le roulement des charrettes.
C'est dans ce chapitre qu'est abordé de manière très brève une
anecdote qui sera à l'origine d'un autre ouvrage « La
désobéissance civile » qui sera à la source d'un autre
aspect du mythe Thoreau. Un après midi… je fus appréhendé et mis
en prison, parce que je n'avais pas payé d’impôts ou reconnu
l'autorité de l’État. Une seule nuit qui donnera une importance
politique à Thoreau.
Méditatif
Dès le deuxième chapitre l'expression bascule de la rigueur
économique au ressenti. Le choix de Walden est affaire de ressenti
et de cœur plutôt que d'économie. L'écriture se fait poétique.
Thoreau, comme ses contemporains utilise largement les références
aux mythologies grecques et nordiques. Il n'est cependant pas
complètement ignorant des pensées orientales et cite un calligramme
chinois. Renouvelle toi complètement chaque jour, et encore, et
encore, et encore, à jamais.
Du temps de Thoreau, les pratiques et la pensée Bouddhiques
n'avaient pas connu la diffusion qu'elles connaissent aujourd'hui. On
peut donc considérer, qu'il a en quelque sorte ré-inventé la
pratique méditative. Les mots employés dans Walden sont très
proches des terminologies modernes dans les ouvrages qui traitent de
méditation.
Le matin qui est le plus notable moment du jour est l'heure du
réveil...et pendant une heure au moins, se tient éveillée quelque
partie de nous même...tout homme a pour tâche de rendre sa vie,
jusqu'en ses détails, digne de la contemplation de son heure la plus
élevée et la plus sévère.
Il y eu des heures ou je ne me sentis pas en droit de sacrifier la
fleur du moment présent à nul travail, soit de tête, soit de main.
Quelquefois par un matin d'été...je restais assis sur mon seuil
ensoleillé du lever du soleil à midi, au sein d'une solitude et
d'une paix que rien ne troublait….ce n'était point un temps
soustrait à ma vie, mais tellement en sus de ma vie. Je me rendais
compte de ce que les orientaux entendent par contemplation et le
délaissement des travaux.
L'engouement actuel pour les pratiques méditatives et le
développement personnel suscite l'éclosion d'une abondante
littérature spécialisée. John Kabat Zinn, Professeur de médecine
et créateur de la clinique de réduction du stress et du centre pour
la pleine conscience en médecine de l'Université médicale de
Massachusetts multiplie les références à Thoreau et à Walden dans
ses différents ouvrages sur la méditation. Henri David Thoreau
apparaît dans ce domaine aussi comme un précurseur.
Amateur des chemins de fer
Je ne pouvais pas achever cette note sans évoquer le chemin de
fer qui touche l'étang à environ cent verges de là ou j'habite.
La Construction du chemin de fer qui est traitée dans le chapitre
économique fait l'objet d'une critique virulente : inutile,
mangeur de vies humaines, source d'inégalité d'esclavage et de
misère.
Pourtant,en tant que voisin de la cabane le chemin de fer est l'objet de
toutes les bienveillances. Il fait partie du paysage, il prend une
place harmonieuse dans la vie quotidienne, le sifflet de la
locomotive fait effet d'horloge publique, il est annonciateur de
bonnes nouvelles, même les odeurs qui se dégagent des wagons
procurent du plaisir. Il détaille les odeurs de bois, de laine, de
poisson séché, de balles de chiffon. En plus, le train il le trouve
beau, avec son nuage de vapeur, bannière flottant à l'arrière
en festons d'or et d'argent, tels maints nuages duveteux que j'ai vu
haut et dans les cieux déployer ses masses à la lumière.
Certains ont rattaché Henri David Thoreau au courant
transcendantaliste. Le long éloge du chemin de fer montre plutôt
qu'il ne considère pas seulement l'environnement naturel, mais
l'environnement dans son ensemble. Le train, bruyant, polluant,
porteur d'odeurs qui sont celles de la vie et du commerce est intégré et accepté dans le quotidien de Walden. Thoreau a
recherché un relatif isolement dans la nature, mais il accepte le
voisinage d'une voie ferrée. En quelque sorte il l'intègre dans sa
méditation, dans sa jouissance du moment présent, et, là encore il
se rapproche des Bouddhistes.
On aurait tort de ne considérer que le côté nature de l'expérience
Walden. Il se réjouit autant de la sérénade du grand duc que du
sifflement d'une locomotive et du grondement des wagons et déplore
de ne point entendre le bruit du cocorico.
Philosophe
Walden est une expérience
humaine qui s'appuie sur la
réalité brute, celle de la satisfaction des besoins élémentaires
à travers une série de choix de vie. Ou et comment habiter ?
Avec quoi et comment se vêtir ? Pourquoi et comment produire
ses aliments ? Jardin, Pêche, achats. Que manger ? En
quelle quantité ? Comment trouver un équilibre entre solitude
et vie en société ?
C'est parce que ces questions sont
universelles que les réponses apportées sont
en rupture avec les conceptions de la vie en vigueur à son époque
que Thoreau sera considéré comme un visionnaire et un précurseur.
En faisant le choix de la sobriété il ne veut pas répondre à un
quelconque manque de ressources, ni protéger la planète du saccage.
Ces thématiques, qui nous sont malheureusement devenues familières, n'avaient aucune raison d'avoir cours à son époque. Seule
l'humanité est en jeu. La sobriété est le moyen de sortir l'homme
des séquelles de barbaries qui caractérisaient l'état sauvage
initial. C'est les progrès de l'homme que recherche Thoreau vers
plus de civilisation, plus de sagesse, moins de travail et de
soumission, plus de temps pour profiter de la nature et de l'instant
présent, plus de présence au monde. La sobriété c'est le remède
à l'avidité et à la futilité. Walden nous propose un détour par
la réalité pour trouver l'homme idéal, celui qui se détache des
besoins superflus du corps pour atteindre la sagesse.
Lire Thoreau aujourd'hui à la
lumière des problèmes écologiques, de l'épuisement des
ressources, de la montée des barbaries est selon moi une erreur.
C'est à l'essence de l'homme que Thoreau s'adresse. Il
veut un homme meilleur plus sage et plus civilisé dans l'absolu. Il
ne cherche pas à résoudre les problèmes de la planète. C'est donc
à chacun de nous, en quête de sagesse, qu'il s'adresse. Acceptons
l'héritage en le lisant ou sans le lire.