La
pesanteur et la grâce : cahiers écrits en 1942, édition
Plon 1947 ; Attente de Dieu, lettres écrites à Joseph
Marie Perrin, Prêtre, de janvier à mai 1942 : Paris Fayard
1966. Éditions numériques réalisées par Gemma Paquet en 2013 et
2007, Université du Québec à Chicoutimi, dans le cadre de la
collection « Les classiques en sciences sociales. Mis en accès
libre et gratuit. Ces livres sont du domaine public au Canada (50 ans
après la mort de l'Auteure)
Il y
a de ma part une sacrée dose d'immodestie à me confronter à la
fois à un monstre sacré de la philosophie et à une des questions
les plus controversées, celle de Dieu. Ce texte fait suite à
« Entretien posthume avec Simone Weil », exercice
irrévérencieux consistant à recueillir, à travers des citations
de « l'enracinement », l'avis de Simone Weil sur des
questions contemporaines de société. Certains lecteurs m'ont
aimablement fait remarquer que, avec une telle clé d'entrée, je
passais totalement à côté de la vraie Simone Weil, mystique et
engagée, que « l'enracinement » qui est son dernier
écrit, ne peut-être lu sans avoir à l'esprit son délabrement
physique qui résulte de sa manière de vivre ascétique, conforme à
ses engagements et au contexte historique dramatique d'un monde en
guerre dont elle a analysé tous les ressorts depuis l'accession de
Hitler au pouvoir.
Comme
le précise Joseph Marie Perrin dans sa préface à l'édition de
« Attente de Dieu » Simone Weil ne reçut aucune
éducation religieuse. « J'ai été élevée par mes parents
dans un agnostiscisme complet » Ses engagements se font auprès
des syndicats ouvriers et des partis d’extrême gauche, toujours
avec une compassion et une sorte de communion avec la misère des
autres, allant jusqu'à quitter son travail d'enseignante pour
l'usine, participant aux grèves, puis s'engageant, en 1936, aux côté
des républicains en Espagne. De par son éducation et ses
aspirations profondes, les valeurs qu'elle porte sont des valeurs
chrétiennes. Elle écrit pourtant au printemps 1942 (Attente de Dieu
lettre numéro 4) « jusqu'à septembre dernier il ne m'était
jamais arrivé dans ma vie de prier, même une seule fois. »
La
conversion est donc tardive, compte tenu de la courte vie de Simone
Weil, qui mourra l'année suivante en 1943. Le passage à l'acte du
baptême interviendra à la suite de nombreuses hésitations et
questionnements. Je voudrais cependant sur la notion de Dieu,
interroger la philosophe, pas la croyante convertie au catholicisme.
La chronologie des œuvres doit cependant être préalablement posée.
« Attente
de Dieu » n'est pas un ouvrage à proprement parler, mais un
recueil de lettres et de réflexions, écrites entre janvier et juin
1942, rassemblées par son ami et prêtre, Joseph Marie Perrin ,
publiées par lui en 1966 seulement. Il s'agit donc chronologiquement
du premier des trois derniers ouvrages, écrit avant sa conversion.
« pesanteur
et grâce » vient après. Il est possible, d'après la
chronologie, qu'il soit pour partie contemporain des lettres. Il a
été écrit sous forme de cahiers. L'écriture en est souvent
exaltée, fourmillant d'aphorismes, qui en font une mine de
citations. Il peut faire l'objet d'une multitude de niveaux de
lectures. Picorer une phrase par ci, une phrase par là, pour les
plus paresseux, et en faire son miel. Lire à la manière d'un livre
sacré en s'imprégnant du rythme, de la puissance et de la poésie,
une lecture religieuse en somme, plus préoccupée du message que du
sens. Lire pas à pas en s'efforçant de suivre chaque raisonnement
sans perdre de vue la démarche d’ensemble. J'ai trouvé cette
lecture particulièrement ardue. J'ai lu est relu certains passages
pour arriver parfois à une (pas à la) compréhension. Souvent, je
dois l'avouer, je n'ai pas compris.
Rien
chez Simone Weil n'est gratuit, nous ne sommes pourtant plus tout à
fait dans un domaine purement littéraire. Aborder Simone Weil c'est
comme vouloir comprendre un article de physique quantique. La
philosophie, avec elle, s'établit à des niveaux ou le commun des
mortels n'a pas accès.
De
plus, « Il ne s'agit pas ici de philosophie mais de vie »
a écrivait Gustave Thibon dans sa présentation de « La
pesanteur et la grâce ». Simone Weil met, jusqu'à l’excès
sa vie en conformité avec ses écrits.
« L'enracinement »
est le dernier ouvrage. Il est largement détaché des préoccupations
religieuses. Le contenu est plus socio-politique. Son écriture est à
mes yeux plus conventionnelle, c'est à dire moins exhaltée, disons
moins surprenante, que celle de La pesanteur et la grâce ». Je
ne m'attarde pas dessus, il a servi exclusivement de matériaux à
mon faux entretien sur des questions contemporaines.
Ma
réflexion portera sur la conception de Dieu chez Simone Weil. Ma
méthode s'inspirera de l'algèbre. Soit Dieu est « x »,
c'est à dire l'inconnue d'une équation. Chaque passage dans lequel
figure le mot Dieu sera considéré comme une équation. Avec la
question : trouver la valeur de « x » et un élément
de la réponse « x= ». La réponse donnera, bien sur,
lieu à une reformulation. La reformulation est, avec les risques que
cela comporte, la seule voie de « ma » compréhension.
Le
matériau pour ce billet provient quasi exclusivement de « La
pesanteur et la grâce ». et pour certaines équations de
« Attente de Dieu ».
Cette
méthode, peu orthodoxe, m'affranchit d'une culture philosophique et
de références que je n'ai pas. Aux yeux des experts, des puristes
et des adorateurs de Simone Weil une telle approche pourra être
considérée comme un nouvel outrage. Tant pis, et hardi ! La
fleur au fusil ! je pars me confronter à Dieu et Simone Weil.
Dieu
ne commence à exister dans la vie et l’œuvre de Simone Weil, qu'à
la toute fin de sa vie, deux ans tout au plus. « je peux dire
que de toute ma vie, je n'ai à aucun moment cherché Dieu...j'ai
pensé que le problème de Dieu est un problème dont les données
manquent ici bas, et que la seule méthode pour éviter de le
résoudre à faux, était de ne pas le poser. Ainsi je ne le posais
pas. Je n'affirmais ni ne niais. Il me paraissait inutile de résoudre
ce problème, car je pensais qu'étant en ce monde, notre affaire
était d'adopter la meilleure attitude à l'égard des problèmes de
ce monde et que cette attitude ne dépendait pas de la solution du
problème de Dieu. (l'attente de Dieu, lettre 4)
L'essentiel
de la vie et de l’œuvre de Simone Weil se déroule donc en dehors
de tout contexte religieux ou de croyance à fortiori de la pratique
d'un culte.
Sur
le Plan philosophique, Simone Weil règle son compte à Pascal « La
méthode de Pascal me paraît être une des plus mauvaises possibles
pour arriver à la foi. »
La
question d'un pari ou chacun des parieurs a raison, est complètement
étrangère à la pensée de Simone Weil. « Dieu existe, Dieu
n'existe pas. Ou est le problème, Je suis tout à fait sure qu'il y
a un Dieu en ce sens que je suis tout à fait sure que mon amour
n'est pas illusoire. Je suis tout à fait sure qu'il n'y a pas de
Dieu, en ce sens que je suis tout à fait sûre que rien ne ressemble
à ce que je peux concevoir quand je prononce ce nom. Mais cela que
je ne puis concevoir n'est pas une illusion…Une inspiration divine
opère infailliblement, irrésistiblement, si on n'en détourne pas
l'attention, si on ne la refuse pas. Il n'y a pas un choix à faire
en sa faveur, il suffit de ne pas refuser de reconnaître qu'elle
est. »
1-Ou
est Dieu ?
La
première question est celle de la place de Dieu dans la vie des
hommes.
1-1
La vie est un équilibre en mouvement ascendant et
descendant entre monde matériel et monde surnaturel.
La
première équation est quasiment une question de Physique,
d'énergie. « Deux forces règnent sur
l'univers : lumière et pesanteur. » La pesanteur
relève de tout ce qui est matériel. La bassesse est le symbole de
la pesanteur parce qu'elle abaisse. « La grâce seule
fait exception » elle relève du surnaturel.
« Il
faut dans les rapports entre l'homme et le surnaturel chercher une
précision plus que mathématique ; cela doit être plus précis
que la science. »
Simone
Weil voit la vie comme un double
mouvement ascendant et descendant,
l'un matériel, l'autre surnaturel. Dans le monde matériel la
nourriture permet à l'homme de se conserver, de croître. La
bassesse et les mauvaises actions le tirent vers le bas. (pesanteur).
Dans le monde surnaturel Simone Weil emploie une métaphore « un
seul remède une chlorophylle permettant de se nourrir de lumière. »
La grâce n'est pas seulement un mouvement ascendant « L'aile
fait monter » mais aussi descendant « Quelle aile à la
deuxième puissance peut faire descendre sans pesanteur ? »
« s'abaisser
c'est monter à l'égard de la pesanteur morale » s'abaisser
est donc pour Simone Weil la manifestation descendante de la grâce.
Résumons.
Dieu pour le moment n'est pas nommé, il apparaît sous la forme de
la grâce qui est l'expression du surnaturel. Et qui comme le monde
matériel s'exprime dans des mouvements ascendants et descendants.
1-2
Compensations, récompenses imaginaires.
Simone Weil à une vision de la vie proche des sciences physiques.
« Comment se délivre t-on de la souffrance ? »
« une situation trop dure abaisse l'énergie fournie »
« seuls des avantages imaginaires fournissent l'énergie pour
des efforts illimités » c'est cette récompense qu 'elle
appelle le sourire de Louis XIV.
« Faute de récompense on se fabrique un Dieu qui nous
sourit. » Simone Weil établit une passerelle entre le monde
matériel et le surnaturel. Faute de pouvoir trouver une compensation
à ses efforts ou à ses souffrances dans le monde matériel l'homme
va les chercher dans le monde imaginaire, il y trouve Dieu qui
sourit.
1-3
Accepter le vide.
Le vide ne peut exister dans le monde réel. « Un gaz qui se
rétracterait et laisserait du vide, ce serait contraire à la loi
d'entropie »
Dire que le Dieu des Chrétiens est un Dieu surnaturel, c'est
accepter qu'il y a un vide pour recevoir la grâce et « c'est
elle qui fait ce vide ».
« La grâce comble » « Il faut une représentation
du monde ou il y ait du vide, afin que le monde ait besoin de Dieu.
Cela suppose le mal. »
Dieu n'existe donc que pour ceux qui acceptent de créer en eux le
vide qui leur permettra d'accueillir, la grâce, le surnaturel, la
récompense imaginaire. On est loin de la question de l'existence ou
de l’inexistence absolue de Dieu. On est loin de Pascal et de son
pari, beaucoup plus près de Platon et de sa caverne ou l'acceptation
de la lumière est est une question de point de vue.
En résumé ; Si l'on admet l’existence du surnaturel. Dieu y
trouve un espace dans lequel les hommes, en compensation des
misères, des douleurs et de la mesquinerie du monde matériel
peuvent placer des intentions et des sentiments élevés et
désintéressés. Dieu est dans le monde surnaturel l'aspiration à
la grâce.
2-
Qu'est-ce que Dieu ?
« Dieu ne peut être présent dans la création que sous la
forme de l 'absence » « Ce monde en tant que
tout à fait vide de Dieu est Dieu lui même. » « c'est
là le mystère des mystères. Quand on le touche on est en
sécurité. » « La mystique est la seule vertu de
l'humanité. Car ne pas croire que derrière le rideau du monde il y
ait une miséricorde infinie ou croire que cette miséricorde est
devant le rideau. Ces deux choses rendent cruel ».
2-1
Dieu est renoncement aux choses matérielles.
« Dieu comble le vide » mais il s'agit d'un vide créé
par un renoncement volontaire aux biens matériels, Ce détachement
doit être gratuit « il ne s'agit nullement d'un processus
intellectuel. L'intelligence n'a rien à trouver, elle a à déblayer.
Elle n'est bonne qu'aux taches serviles. »
Simone Weil met en garde contre « les croyances combleuses de
vides, adoucisseuses des amertumes, celle de l'immortalité, celle de
l'utilité des pêchés, celle de l'ordre providentiel des événements
– bref les consolations qu'on recherche ordinairement dans la
religion. »
« Quand Dieu est devenu aussi plein de signification que le
trésor de l'avare, se répéter fortement qu'il n'existe pas.
Éprouver qu'on l'aime même s'il n'existe pas. »
2-2
Dieu est renoncement à une représentation Physique.
« L'amour n'est pas compensation il est lumière. » « si
on aime dieu en pensant qu'il n'existe pas, il manifestera son
existence. »
Heureusement à ce point Simone Weil nous propose une transposition
explicative « perdre quelqu'un : on souffre que l'absent
soit devenu de l'imaginaire, du faux. Mais le désir qu'on a de lui
n'est pas imaginaire. Descendre en soi-même ou réside le désir qui
n'est pas imaginaire. » « La présence du mort est
imaginaire, mais son absence est bien réelle ; elle est
désormais sa manière d'apparaître »
La présence de Dieu se manifeste intuitivement comme celle de l'ami
revu après une longue absence lors d'une poignée de main.
Dieu n'a rien à voir avec les religions et les croyances. Simone
Weil pense au contraire qu'elles sont un adoucissement. Dieu est le
produit non désiré du renoncement, du détachement sans intention,
des choses matérielles et de la réalité d'un manque, d'une
absence.
2-3 Dieu est renoncement à soi.
« Nous ne possédons rien au monde-car le hasard peut tout
nous ôter, sinon le pouvoir de dire je. C'est cela qu'il faut donner
à Dieu. »
« Offrande, on ne peut pas offrir autre chose que le je. »
Ce transfert du je du monde matériel au monde surnaturel, celui de
Dieu permet à l'homme de ne plus ressentir ni douleur ni souffrance
dans le monde matériel. Il y reste incarné mais le moi qui pourrait
souffrir est ailleurs.
« le malheur ne peut détruire le je, car le je en lui n'existe
plus, ayant entièrement disparu et laissé la place à Dieu. »
Dans le malheur ou la douleur les hommes disent « Dieu pourquoi
m'as-tu abandonné ? » ce qui fait dire à Simone Weil
« Le Malheur produit l'absence de Dieu »
Simone Weil balaie la conception communément répandue du « Dieu
est bon », comment se fait t-il qu'il accepte les guerres, les
massacres, la mort des enfants , en un mot tous les malheurs du
monde ? Croire en Dieu pour Simone Weil ce n'est pas nier le
malheur, c'est s'en détacher. Renoncer au je, c'est renoncer à
souffrir.
Si l'homme renonce au je, si tous les hommes de l'univers y
renoncent : « c'est la misère qui fait que je suis je.
C'est la misère de l'univers, qui fait que en un sens Dieu est je
(c'est à dire une personne) »
Dieu est donc les je rassemblés de tout l'univers. Une personne
(dans le monde surnaturel) issue du renoncement de tous.
Pour que Dieu soit tout il faut que les hommes ne soient rien. « Nous
participons à la création du monde en nous décréant nous-mêmes. »
« Mon Dieu accordez moi de devenir rien ; »
Pour faire comprendre le renoncement à soi Simone Weil utilise la
métaphore du grain. « Si le grain ne meurt...il doit mourir
pour libérer l'énergie qui est en lui afin qu'il s'en forme
d'autres combinaisons. De même nous devons mourir pour libérer
l'énergie attachée... »
L'idée du renoncement est poussée jusqu'à l'effacement même du
corps « toutes les choses que je vois entends, respire,
touche, mange, tous les êtres que je rencontre, je prive tout cela
du contact avec Dieu, et je prive Dieu du contact avec tout cela dans
la mesure ou quelque chose en moi dit je. » « Je peux
faire quelque chose pour tout cela et pour Dieu, à savoir me
retirer, respecter le tête à tête. »
En résumé. Simone Weil conçoit la complémentarité entre le monde
matériel et le monde surnaturel, siège de Dieu, comme un système
de vases communicants. « l'être de l'homme est caché derrière
le rideau, du côté du surnaturel ». Pour trouver la grâce,
la lumière de Dieu, l'homme doit se détacher des valeurs
matérielles, renoncer aux plaisirs et aux avantages qu'elles
procurent et même renoncer à soi, s'effacer même. La vie de Simone
Weil a été, même dans sa période agnostique, faite de
renoncements aux avantages matériels et de renoncement à soit
(abandon de son métier d'enseignante, désintérêt pour son
apparence physique...). Il y a chez elle une aspiration véritable à
la sainteté. Sa conception philosophique de Dieu va dans ce sens.
Mais a-t-on vraiment affaire à un écrit philosophique ou à un
écrit Mystique ? Les deux je pense. La mise en adéquation de
sa vie à sa conception de Dieu fait sa grandeur personnelle, mais
sans doute limite la portée portée universelle de ses écrits.
3- Qu'est-ce que croire en Dieu ?
« Pour autant qu'il est créateur, Dieu est présent dans
toute chose qui existe dès lors qu'elle existe. »
3-1
L’obéissance
l’obéissance n'est que la soumission à la nécessité.
« L'obéissance est la vertu suprême. Aimer la nécessité. »
« Il y a des cas ou une chose est nécessaire du seul fait
qu'elle est possible. Ainsi manger quand on a faim, donner à boire à
un blessé mourant de soif, l'eau étant tout près. Ni un bandit ne
s'en abstiendrait, ni un saint. »
l’obéissance à Dieu n'est pour Simone Weil qu'une position de
l'homme entre lui et le monde. « n'être qu'un intermédiaire
entre la terre inculte et le champ labouré, entre les données du
problème et la solution, entre la page blanche et le poème, entre
le malheureux qui a faim et le malheureux rassasié. » il
s'agit de répondre aux nécessités sans intentions particulières
en faisant taire tous désirs et toutes opinions. « La volonté
de Dieu comment la connaître ? » en faisant silence en
soi, en faisant ce que l'on sent devoir faire. On retrouve donc le
« Que ta volonté soit faite » de la prière catholique.
C'est la réponse « fallait bien » du mousse qui vient de
réaliser un acte héroïque.
Ne pas confondre l’obéissance à Dieu avec l’obéissance de
l'esclave qui réalise la volonté du maître.
3-2
Se méfier des apparences et de l'imagination.
Simone Weil fait appel à Platon pour mettre en garde contre
l'illusion de la valeur ; « L'image de la caverne se
rapporte à la valeur. Nous ne possédons que des ombres d'imitation
de biens… nous acceptons les fausses valeurs qui nous apparaissent
et quand nous croyons agir nous sommes en réalité immobiles car
nous restons dans le même système de valeurs. »
Il faut donc appréhender le monde qui nous entoure à l'aune de la
nécessité et non de l'idée imaginaire que nous nous faisons de
leur valeur. « notre vie réelle est plus qu'aux trois quarts
composée d'imagination et de fiction. Rares sont les vrais contacts
avec le bien et le mal. »
3-3 Le péché, la peur de Dieu
Simone Weil définit le péché comme une faiblesse de la chair,
l'homme se laisse sciemment aller à tout ce qui ne le tue pas ;
Le péché lui permet de ne pas voir Dieu « ce n'est pas la
recherche du plaisir et l'aversion de l'effort qui produisent le
péché, mais la peur de Dieu. » pour l'expliquer, ici encore
Simone Weil a recours à Platon. « L'image de la caverne semble
l'indiquer. C'est d’abord le mouvement qui fait mal. Quand on
arrive à l'orifice c'est la lumière. Non seulement elle aveugle,
mais elle blesse. Les yeux se révoltent contre elle. »
3-4
l'Amour de Dieu, amour pour Dieu, amour pour les autres, amour pour
les morts.
Le chapitre sur l'amour débute par cette sentence « L'amour
est un signe de notre misère. Dieu ne peut aimer que soi. Nous ne
pouvons aimer qu'autre chose.»
« C'est parce que Dieu nous aime que nous devons l'aimer, c'est
parce que Dieu nous aime que nous devons nous aimer.»
Pour l'amour comme pour toutes autres choses, Simone Weil met en
garde contre l'illusion et l'imagination. Sa conception de l'amour
est donc désincarnée un amour sans attachement, une simple
acceptation de l'autre. « la croyance à l'existence d'autres
êtres humains comme tels est amour. » « C'est une
lâcheté que de chercher auprès des gens qu'on aime un autre
réconfort que celui que nous donnent les œuvres d'art »
« Aimer purement, c'est consentir à la distance, c'est adorer
la distance entre soit et ceux qu'on aime. »
L'amitié échappe de justesse à cette conception, j'ai trouvé
cette concession dans « l'attente de Dieu », « Mais
il est un amour personnel et humain qui est pur et qui enferme un
pressentiment et un reflet de l'amour divin. C'est l'amitié à
condition qu'on emploi ce mot rigoureusement dans son sens propre. »
cette concession à considérer la possibilité de sentiments entre
humains, autres que la charité, est quand même restreinte parce
qu'il peut être guidé par deux motifs « ou l'on cherche en
l'autre un certain bien, ou on a besoin de lui. » C'était trop
beau !
Heureusement « l'amour qu'on voue aux morts est parfaitement
pur. »
L'amour n'a pas sa place dans le monde de Simone Weil, il n'existe
qu'en tant que reconnaissance mutuelle de Dieu pour les hommes, des
hommes pour Dieu, des hommes entre eux. Effectivement ça ne fait pas
rêver.
3-5
Croyance à l'immortalité :
Le refus de toute consolation, considéré comme un fruit de
l'imagination abouti à un rejet de la croyance en la vie éternelle.
« La croyance à l'immortalité est nuisible parce qu'il n'est
pas en notre pouvoir de nous représenter l'âme comme vraiment
incorporelle. Ainsi cette croyance est en fait croyance au
prolongement de la vie, et elle ôte l'usage de la mort. »
3-6 Le hasard, le mal, le malheur, le
bien, la beauté, le plaisir
« Le mal c'est toujours la destruction des choses sensibles ou
il y a présence du bien. » Le mal est donc pris comme
innocent, involontaire. « Le mal est accompli par ceux qui
n'ont pas connaissance de cette présence réelle. En ce sens il est
vrai que nul n'est méchant volontairement. »
Le mal est comme le bien une réalité du monde. « Expliquer la
souffrance, c'est la consoler, il ne faut donc pas qu'elle soit
expliquée. » « Dieu a créé un monde qui est non le
meilleur possible, mais comporte tous les degrés de bien et de
mal. » et référence à l'actualité de son époque « nous
sommes au point ou il est le plus mauvais possible. »
Comme le mal, le malheur est une réalité qui doit être acceptée
« je ne dois pas aimer ma souffrance parce qu'elle est utile,
mais parce qu'elle est. »« accepter ce qui est amer. »
« Dieu envoie le malheur indistinctement aux méchants comme
aux bons, ainsi que la pluie et le soleil. »
« La beauté, c'est l'harmonie du hasard et du bien. »
« Étoiles et arbres fruitiers en fleur. La permanence complète
et l'extrême fragilité donnent également le sens de l'éternité. »
La recherche du plaisir dans un monde ou Dieu distribue également le
bien et mal ne peut être qu'illusoire. « Toute recherche d'un
plaisir est recherche d'un paradis artificiel, d'une ivresse, d'un
accroissement. Mais elle ne nous donne rien, sinon l'expérience
qu'elle est vaine. »
Le hasard explique donc une conception de Dieu qui s'accommode de
tout, le bien et le beau, comme le mal et le malheur, car tout dans
le monde, est le fruit de hasards. Il renvoie la notion de progrès à
la prétention illusoire des hommes de changer l'ordre de la
création. Et celle du plaisir à une ivresse artificielle.
« La méditation sur le hasard qui a fait rencontrer mon père
et ma mère est plus salutaire encore que celle de la mort. »
5-
La pratique religieuse
la question de la pratique religieuse est abordée dans les dernières
pages de « La pesanteur et la grace dans le chapitre consacré
à la mystique du travail.
« Le nettoyage philosophique de la religion n'a jamais été
fait ? Pour le faire il faudrait être dedans et dehors. »
« Le Christ est le point de tengeance entre l'humanité et
Dieu. »
« Les travailleurs ont besoin de poésie plus que de pain.
Besoin que leur vie soit une poésie. Besoin d'une lumière
d'éternité. Seule la religion peut être la source de cette poésie.
« Ce n'est pas la religion, c'est la révolution qui est
l'opium du peuple. »
Après Pascal voilà que Marx est taclé de sévère manière. La
révolution est un rêve d'agir sur l'ordre du monde alors que pour
Simone Weil l'ordre ne peut être que celui des hasards de la
création divine. Une telle présomption est totalement étrangère à
la vision de Simone Weil.
La religion, comme spiritualité organisée, est donc simplement la
porte d'accès à la beauté.
Dieu trouvant sa place dans le monde surnaturel est avant tout chez
Simone Weil croyance qu'à côté du monde matériel, « derrière
le rideau » dit-elle existe un monde spirituel, celui ou réside
la grâce.
Croire en l'existence et à la nécessité de la spiritualité pour
vivre ouvre tout les champs des possibles. Le premier étant de
nommer ou de ne pas nommer ce monde spirituel Dieu. « Dieu
existe, Dieu n'existe pas, ou est le problème ? » « entre
deux hommes qui n'ont pas l'expérience de Dieu, celui qui nie est
peut-être le plus près. »
« Les erreurs de notre époque sont du Christianisme sans
surnaturel. » « La religion en tant que source de
consolation est un obstacle à la véritable foi. »
Simone Weil trouve légitime une spiritualité qui ne reconnaît pas
Dieu, par contre elle dénonce la pratique religieuse pour elle même
c'est à dire détachée de la croyance au surnaturel.
Chez Simone Weil Dieu n'est pas un choix, c'est un nom donné à sa
spiritualité, Le choix de Dieu laisse ensuite le champ ouvert à
toutes les manières de lui manifester son attachement, c'est à
dire à toutes les religions.
« La religion n'est pas autre chose que cette promesse de Dieu.
Toute pratique religieuse, tout rite, toute liturgie est une forme de
la récitation du nom du seigneur. » « toutes les
religions prononcent dans leur langue le nom du seigneur. »
« Mais d'une manière générale la hiérarchie des religions
est une chose très difficile à discerner, presque impossible,
peut-être tout à fait impossible. » (attente de Dieu)
Une approche du divin qui a le mérite de mettre sur le même plan le
croyant et le non croyant, le croyant sans religions et tous les
croyants de toutes les religions du monde est quand même plus
satisfaisante qu'une conception « noir ou blanc » avec
deux camps ceux qui croient et ceux qui ne croient pas. Voilà ce que
je retiens sur le fond de la lecture de « la pesanteur et la
grâce »
Pour le reste Simone Weil pousse jusqu'à ses ultimes retranchements
la conception d'un Dieu créateur de toutes choses et d'un ordre du
monde sans hiérarchie entre le bien et le mal et ou tout efforts de
l'homme pour aller vers le bien ou diminuer le mal n'est qu'illusion,
fruit de l'imagination. Dans ce monde l'homme, n'a pas plus de place
que tout élément, même le plus modeste de la création, et qui n'a
donc d'autre choix que de renoncer à être. L'humanité n'a pas de
place dans le vision de Simone Weil, sinon une humanité désincarnée,
portée par les hasards de l'évolution du monde, obéissante aux
éléments, impuissante à changer ou améliorer sa condition. Ce
n'est même pas une vision pessimiste de l'humanité, c'est bien
pire, c'est une vision sans espoir.
Ce qui est propre à Simone Weil c'est que cette vision était sa vie
et cette vision à toujours été la sienne, bien avant sa conversion
et son engagement catholique. En renonçant aux douceurs de la vie,
aux artifices de l’élégance, à l'argent, en s'engageant
totalement dans la vie des ouvriers et dans la guerre d’Espagne,
Simone Weil a appliqué dans sa vie sa conception de Dieu. Un Dieu
qu'elle nommera plus tard, mais une spiritualité brûlante qui l'a
toujours imprégnée.
S'agit-il d'une aspiration à la sainteté, sans doute, peut-être,
mais sainteté n'est qu'un mot. Simone Weil fait partie de ces
humains qui vont au bout de leurs idées et vivent leur passion jusqu'au
sacrifice ultime de leur vie…. Simone Weil, Antonin Artaud, Van
gogh, Rimbaud, Janis Joplin, Curt Cobain, Amy Winehousse. Ils ont
tous vécu à fond, dans l’excès, jusqu'à la mort. Ils sont des
christ modernes, ils ont péri pour nous. Pour moi ils sont des
icônes parce que leur vie brûlée est le contrepoids de la tiédeur
de la mienne. A travers eux je vis ce que jamais je n'ai osé.
Les écrits de Simone Weil surprennent, agacent parfois, mais ce ne
sont pas de simples écrits, c'est l'expression d'une spiritualité et
d'un génie inaccessible. Ils vont bien au-delà de la nécessité de
comprendre.